AccueilPop culture

Arles 2017 : les photos de Masahisa Fukase exposées pour la première fois en Europe

Arles 2017 : les photos de Masahisa Fukase exposées pour la première fois en Europe

avatar

Par Lisa Miquet

Publié le

À l’occasion des Rencontres d’Arles, les photos de Masahisa Fukase sont exposées pour la première fois en Europe. L’occasion de découvrir l’artiste à l’univers aussi sombre qu’ironique.

À voir aussi sur Konbini

“L’Incurable Égoïste”, le nom de la rétrospective consacrée à Masahisa Fukase, représente assez bien son œuvre : l’homme aussi drôle que torturé, sans concession avec lui-même, possède un sens aiguisé de l’autodérision. Il est au centre de ses réalisations et ne parvient pas à détacher son travail de sa vie personnelle. Documentant son quotidien, le photographe japonais est considéré comme l’un des plus radicaux et des plus influents de sa génération. Hébergée au sein du palais de l’Archevêché à Arles, la rétrospective qui lui est consacrée rend compte des différentes dimensions de son œuvre, depuis ses débuts dans les années 1960 jusqu’à ses dernières images.

Ayant baigné dans la photographie depuis son plus jeune âge, au côté de son père qui tenait un studio photo de portraits à Tokyo, Fukase prend la décision de ne pas reprendre l’affaire familiale déclarant : “Je devais choisir entre devenir photographe et prendre des photos dans un studio photo.” Il débute sa carrière comme photographe documentaire pour divers titres de presse, avant de façonner un univers tiré de sa vie intime.

Une œuvre profondément introspective

Toute l’immensité de l’œuvre de Fukase vient du fait qu’il puise son inspiration dans sa vie personnelle. Avec sa série Yohko, il retrace treize années de mariage aux côtés de sa seconde épouse qu’il photographie depuis sa fenêtre à chacun de ses départs en ville. Une série poignante qui aborde le sentiment amoureux, le quotidien à deux et la peur de perdre l’autre. À travers ses images, on peut sentir la distance s’installer peu à peu au sein de leur couple, jusqu’à la séparation. Après le départ de sa femme, le photographe sombre dans une dépression. Il réalise alors en 1986 Corbeaux, la série qui le fera connaître. Unanimement encensées aux États-Unis et en Europe, ses images d’oiseaux sont une métaphore de sa solitude.

Fukase réalise aussi un travail photographique sur son père : alors que celui-ci tombe malade et perd peu à peu ses forces, l’artiste immortalise sa longue descente jusqu’à la mort. Radical, l’artiste va même jusqu’à photographier le squelette de son père, figeant sa dépouille dans l’histoire. Une manière pour lui de porter une réflexion sur l’éphémère et la condition humaine.

Selfies et lolcat 1.0

Bien avant que les lolcats d’Internet n’envahissent notre culture commune, Fukase se passionne pour son chat – qui est devenu son meilleur ami –, une fidèle compagnie dans un quotidien bercé par la solitude. Il décide de photographier le félin sous toutes ses coutures, régulièrement mis en scène, voire posant une cigarette dans le museau. Une expérience qui l’aide à mieux se comprendre lui-même :

“J’ai passé la plus grande partie de cette dernière année à prendre des photos allongé par terre, à peu près au niveau des yeux d’un chat, au point que j’ai eu la sensation d’en devenir un moi-même.”

S’il considère ses photos de chat comme des “autoportraits déguisés”, il s’est aussi beaucoup photographié lui-même à bout de bras, devenant une sorte de pionnier argentique du selfie :

“Pendant les quatre dernières années, je me suis mis sur toutes les images que j’ai faites. C’est presque devenu une maladie, comme si j’avais en permanence l’impression d’avoir des yeux dans mon dos […]. Même si je pense parfois que l’image serait bien meilleure sans mon visage en plein milieu, je ne peux pas m’en empêcher.”

Expérimentations formelles

En regardant l’intégralité de l’œuvre de Fukase, nous ne pouvons qu’admirer la créativité de l’artiste. Loin de s’enfermer dans un style prédéfini, il expérimente sans cesse de nouveaux procédés artistiques. Les nuances de gris des corbeaux tranchent avec ses images tachetées de couleurs vives. Il s’essaie aussi au collage et violente ses portraits – de lui-même ou de son chat – avec du matériel de bureau. Les images, transpercées de punaises de différentes tailles deviennent très graphiques et nous évoquent le pop art. Il plonge aussi ses appareils photo dans l’eau, peint ses tirages, gribouille ses images, dessine des motifs, crée des illusions d’optique. S’il se renouvelle sans cesse, son travail disparate est pourtant empreint d’une étonnante cohérence, la marque de sa singularité : une lucidité cinglante, teintée d’humour.

Alors qu’il est âgé de 58 ans, la production de l’artiste s’arrête brusquement suite à une chute dans les escaliers d’un bar qui le blesse à la tête. Il reste dans le coma pendant 20 ans, avant de décéder en 2012. Une triste fin, à l’image de son œuvre. À travers ses différentes séries, Fukase aborde les thèmes de la famille, de l’amour, de la solitude et de la mortalité par le biais d’images pleines d’ironie et de désespoir, faisant de lui l’un des artistes japonais les plus originaux d’après-guerre.

“L’Incurable Égoïste”, Masahisa Fukase, palais de l’Archevêché à Arles, jusqu’au 24 septembre.

EnregistrerEnregistrer

EnregistrerEnregistrer