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3 installations émouvantes et intimes à découvrir au MO.CO. à Montpellier

3 installations émouvantes et intimes à découvrir au MO.CO. à Montpellier

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© Salem Mostefaoui

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Par Donnia Ghezlane-Lala

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Une inauguration en grande pompe.

Le 29 juin dernier, le musée d’art contemporain MO.CO. (pour “Montpellier Contemporain”) inaugurait son ouverture au sein d’un ancien hôtel particulier, aujourd’hui noblement renommé “l’Hôtel des collections”. La création d’un tel lieu apporte un grand coup de projecteur à la ville et à son patrimoine d’un point de vue national mais aussi mondial.

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Ryan Gander, “Ftt, Ft, Ftt, Ftt, Ffttt, Ftt, or somewhere between a modern representation of how a contemporary gesture came into being, an illustration of the physicality of an argument between Theo and Piet regarding the dynamic aspect of the diagonal line and attempting to produce a chroma-key set for a hundred cinematic scenes”, 2010. (© Salem Mostefaoui/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy TARO NASU, Tokyo/Adagp, Paris, 2019)

L’exposition inaugurale “Distance Intime” met à l’honneur pour la première fois les chefs-d’œuvre issus de la collection privée de Yasuharu Ishikawa, un entrepreneur et philanthrope japonais, qui acquiert des œuvres depuis 2011. Cette manifestation artistique collective tient son nom du type de travaux présentés : tous puisent leur origine dans l’intimité et les expériences de leurs créateurs.

“[…] [T]outes s’articulent autour de récits personnels forts en lien avec des situations historiques et universelles : la maladie d’un amant (Félix Gonzalez-Torres), une catastrophe écologique (Pierre Huyghe), le rapport entre globalisation et migration (Danh Vo) ou le lien au père (Simon Fujiwara).

Ces œuvres sont des actes de mémoires : elles convoquent des souvenirs partagés et provoquent des émotions formelles et sensitives fortes. Beaucoup utilisent l’interaction directe avec le spectateur, souvent par l’image ou par le son, pour imprimer une sensation durable chez le visiteur. […] Rien d’exubérant parmi les œuvres sélectionnées, rien de spectaculaire, mais une tension constante entre la dimension intime et celle de l’histoire”, peut-on lire dans le catalogue de l’exposition.

Ryan Gander, “Tell my mother not to worry (III)”, 2012. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy TARO NASU, Tokyo/Adagp, Paris, 2019)

La collection d’Ishikawa réunit ainsi sculptures, peintures, installations, vidéos et photographies produits entre les années 1960 à nos jours (et pour la plupart jamais exposés) par 18 artistes internationaux confirmés ou émergents, à l’instar de Marcel Broodthaers, Lawrence Weiner, Gerhard Richter, Liam Gillick, Rachel Rose, Ryan Gander et Shitamichi Motoyuki.

Cette exposition collective nous accueille avec une installation monumentale signée Ryan Gander composée de flèches d’arc noires plantées dans les murs blancs du musée. Plus loin, ses sculptures en poudre de marbre représentant des fantômes-enfants s’amusent à nous faire peur ; la batterie d’Anri Sala joue seule ; le box transparent imaginé par Gerhard Richter rend hommage aux tours du World Trade Center avec cette fragilité du verre qui peut rompre à tout instant ; pour finir, les Date Paintings et cartes postales d’On Kawara sont là pour nous rappeler le temps qui passe. Focus sur trois œuvres qui nous ont marqués.

La lutte de Félix González-Torres contre le sida

Félix González-Torres, “‘Untitled’ (Monument)”, 1991. (© Donnia Ghezlane-Lala pour Cheese/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Fondation Félix Gonzalez-Torres)

Avec deux ampoules et un bloc de papier, on peut dire beaucoup. C’est ce que Félix González-Torres, un artiste minimaliste et conceptuel mort des suites du sida en 1996 à seulement 38 ans, nous prouve à travers deux travaux : “Untitled” (Monument) et “Untitled” (March 5th) #2. Comme tous ses projets, cet artiste cubain combine ses expériences personnelles et douloureuses à son art et des réflexions politiques. Il part ainsi de l’intime pour ouvrir vers l’universel. 

La première installation est une pile d’affiches, inspirées des monuments publics : un bloc de papier a des allures de tours américaines. Les visiteur·se·s sont invité·e·s à partir avec une affiche, faisant de cette sculpture une œuvre éphémère et mouvante. Sur ces affiches, cette citation, extraite d’un journal, est écrite : “Dix hommes sont partis, seulement trois sont revenus”, comme une introduction d’un film western. L’idée que le sida est une guerre à mener ne peut que résonner avec le vécu de l’artiste. 

“Chaque spectateur, en prenant, provoque la dégradation de la sculpture, mais en même temps il la ‘sauve’ en se l’appropriant et en la dispersant indéfiniment”, explique l’artiste Éric Watier à propos de ce type de sculptures “empilées”. Ce tas peut ainsi être interprété comme “la métaphore de la propagation du virus du sida” au sein de la communauté LGBTQ+ dans les années 1980-90, les feuilles fragiles étant le nombre de victimes. Au fur et à mesure, la pile de papiers baisse et finit par disparaître. Ce qu’il y a de beau, c’est que les visiteur·se·s réutiliseront cette feuille, l’exploiteront, la déchireront, l’afficheront, la couperont, l’offriront, la vendront, et que le souvenir de ces victimes et de Félix González-Torres perdurera en dehors des murs du musée.

Félix González-Torres, “‘Untitled’ (March 5th) #2”, 1991. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Fondation Félix Gonzalez-Torres)

La deuxième installation représente deux ampoules allumées, enlacées et suspendues à un mur. Elles symbolisent en réalité un couple, et plus précisément l’artiste et son compagnon Ross Laycock, mort du sida en 1991 avant la création de cette œuvre, qui se présente comme un hommage et un souvenir ineffable de leurs deux corps enchevêtrés, de leur union, que la mort ne peut vaincre.

La lumière vive témoigne de l’intensité et de l’incandescence de leur amour. Ce qu’il y a de poétique dans cela malgré le fait d’évoquer la mort, la maladie, la souffrance, le deuil, le corps réduit, c’est que les employé·e·s du MO.CO. changent automatiquement les ampoules si elles sont amenées à s’éteindre et si l’une meurt avant l’autre. L’amour ne disparaît pas, même si les corps s’éteignent. 

Entrez dans le studio de Fischli & Weiss

Peter Fischli & David Weiss, “Untitled”, 1994-2013. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Galerie Matthew Marks)

À travers une œuvre illusionniste, le duo suisse Fischli & Weiss signe ici leur dernière création réalisée ensemble avant que le cancer emporte le second en 2012. Après la formation de leur binôme en 1979, Peter Fischli et David Weiss ne se sont plus jamais quittés et se sont fait un nom en mettant en scène des objets du quotidien “libérés de l’esclavage de leur utilité” au sein de situations étranges entre ordre et chaos, s’inscrivant dans l’héritage de Marcel Duchamps et de son ready-made.

Présentée au MO.CO., Untitled est une reproduction sculptée à la main, ultra réaliste et grandeur nature de leur atelier, et de tout ce qui se trouve dans leur studio, à la différence que tout est en résine polyuréthane. Des boîtes en pagaille, des bières, des brosses à dents, des cartons, des bonbonnes, des seaux, des détergents, des plaques et outils : bienvenue dans l’antre atypique des deux partenaires où toute cette résine peinte crée une illusion parfaite des 161 matériaux présentés et de leur environnement de travail. “Fragiles et inutiles, ils [les objets] sont les témoignages par l’absurde du labeur d’artiste et de sa beauté, située à l’emplacement exact où la vie et l’art se rejoignent”, écrit joliment la critique d’art Ingrid Luquet-Gad pour le MO.CO.

Peter Fischli & David Weiss, “Untitled”, 1994-2013. (© Donnia Ghezlane-Lala pour Cheese/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Galerie Matthew Marks)

Au-delà de l’œuvre plastique qu’elle représente, c’est aussi un dernier adieu au studio qu’ils ont côtoyé à deux toute leur vie. Achevée un an après la mort de Weiss, pour la première fois conçue à deux mains et non quatre, cette installation garde en son cœur une charge émotionnelle forte malgré la banalité des objets exhibés et de leurs couleurs joyeuses.

Retournez en enfance avec Mike Kelley

Le MO.CO. présente en milieu de parcours, à côté de l’œuvre de Fischli & Weiss, une création de Mike Kelley, un artiste américain (mort en 2012) inspiré par le mouvement du clusterfuck aesthetics (“esthétique du foutoir”) né en réponse au capharnaüm de l’ère numérique. Dans Arena #11 (Book Bunny), ce ne sont pas des animaux empaillés qui sont au cœur de son installation mais une peluche lapin enfantine, posée sur un tapis en crochet et lisant un dictionnaire des synonymes anglo-saxon (le très célèbre Roget’s Thesaurus). Tous ces éléments agissent comme des associations d’objets et d’idées comme bien souvent dans le travail de Kelley.

Mike Kelley, “Arena #11 (Book Bunny)”, 1990. (© Marc Domage/Courtesy Galerie Skarrstedt, New York/Fondation Ishikawa, Okayama/Adagp, Paris, 2019)

Le tapis et le lapin sont souillés, tachés et d’occasion, et l’animal est assis à côté de deux bombes insecticides Raid, une référence forte au concept artistique d’abjection (qui “explore des thèmes qui transgressent et menacent notre sens de la propreté et de la bienséance, notamment en faisant référence au corps et aux fonctions corporelles”, définit le Tate).

Entre le dictionnaire considéré comme un accès au savoir pour l’homme et les bombes insecticides qui symbolisent la menace destructrice de ce dernier sur la planète, Mike Kelley rend compte de la dualité de l’être humain. La peluche est censée exterminer tout insecte qui s’approcherait de son havre de tranquillité. “L’animal en peluche est un pseudo-enfant, un être mignon et asexué qui représente pour l’adulte un enfant parfait – un animal de compagnie castré”, a déclaré Mike Kelley à propos de ce projet. 

Mike Kelley, “Arena #11 (Book Bunny)”, 1990. (© Donnia Ghezlane-Lala pour Cheese/Courtesy Galerie Skarrstedt, New York/Fondation Ishikawa, Okayama/Adagp, Paris, 2019)

L’imagerie de l’animal merveilleux, de l’enfant sage lisant un livre contraste étrangement avec la violence des bombes toxiques, comme si le protagoniste inanimé ne voulait pas que les autres s’approchent du savoir. On peut noter que le livre est ouvert au mot “désobéir”, message politique qui résonne avec les angoisses et inspirations de l’artiste, à savoir : la musique underground, le milieu ouvrier, la lutte des classes et des sexes. L’accès à la connaissance pourrait leur permettre de gouverner et de semer le chaos.

“Sous son apparence calme, l’œuvre peut évoquer les démons de la nature humaine, entre désir d’embrasser la connaissance et volonté de domination, voire de destruction, d’autres espèces.” Une installation qui recèle de sens cachés derrière ses airs doux et innocents.

Ryan Gander, “Ftt, Ft, Ftt, Ftt, Ffttt, Ftt, or somewhere between a modern representation of how a contemporary gesture came into being, an illustration of the physicality of an argument between Theo and Piet regarding the dynamic aspect of the diagonal line and attempting to produce a chroma-key set for a hundred cinematic scenes”, 2010. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy TARO NASU, Tokyo/Adagp, Paris, 2019)

Haroon Mirza, “Backfade_5, (Dancing Queen)”, 2011. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Galerie Lisson, Londres)

Anri Sala, “Another Solo in the Doldrums (Serpentine)”, son d’Olivier Goinard, 2011. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama)

Gerhard Richter, “5 stehende Scheiben”, 2002. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Wako Works of Art)

 

Simon Fujiwara, “Rehearsal for a Reunion (with the father of pottery)”, 2011. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy TARO NASU, Tokyo)

On Kawara, “Date Paintings”, 1994. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Musée national d’art moderne, Tokyo)

 

Danh Vo, “Massive Black Hole in the Dark Heart of our Milky Way”, 2012. (© Marc Domage/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Galerie Marian Goodman, New York)

Danh Vo, “Massive Black Hole in the Dark Heart of our Milky Way”, 2012. (© Jean-Philippe Mesguen/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Galerie Marian Goodman, New York)

Gerhard Richter, “5 stehende Scheiben”, 2002. (© Salem Mostefaoui/Fondation Ishikawa, Okayama/Courtesy Wako Works of Art)

Le MO.CO. vu de l’extérieur. (© Salem Mostefaoui)

“Distance intime. Chefs-d’œuvre de la collection Ishikawa”, exposition à voir au MO.CO., à l’Hôtel des collections (Montpellier) jusqu’au 29 septembre 2019. 

Article réalisé suite à un voyage presse.