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Au Nigeria, un marché de l’art méconnu mais convoité

Au Nigeria, un marché de l’art méconnu mais convoité

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© Josh Liu/Unsplash

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

"Ici, quand un collectionneur a un coup de cœur, il n’a pas peur de dépenser."

Entre les peintures monumentales colorées et de gigantesques tapisseries, défilent dans les allées d’ArtX, la foire d’art contemporain de Lagos, les personnalités les plus influentes de la haute société du Nigeria, première économie du continent africain et rayonnante puissance culturelle.

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Des grands noms du cinéma ou de la mode, mais aussi du pétrole, des assurances et des banques, déambulent entre les toiles, coupe de champagne à la main. Une opportunité pour la trentaine de galeries présentes sur la foire, qui s’est déroulée ce mois-ci, qui ont fait le déplacement depuis tout le continent, de Kampala à Dakar en passant par Abidjan, et même de Paris, Londres ou Barcelone.

“Le marché de l’art au Nigeria reste assez méconnu et je pense qu’en arrivant, on ne se rendait pas compte de son importance. Pourtant, ici, lorsqu’un collectionneur a un coup de cœur, il n’a pas peur de dépenser”, soulignent Léa Perier Loko et Julie Banâtre de la galerie parisienne Septieme.

Sur leur stand, ce sont les immenses toiles bleues de l’artiste kényan Kaloki Nyamai qui sont parties le plus rapidement. Ces peintures, “qui racontent l’histoire qui n’est pas enseignée ou écrite dans les livres”, mesurent deux mètres sur deux mètres et ont été vendues jusqu’à 20 000 dollars (soit 17 300 euros). “À Paris, nous avons beaucoup plus de difficultés à vendre ce type de format. Cela illustre vraiment la différence d’échelle entre les deux villes.”

Le géant pétrolier ouest-africain compte, parmi ses 210 millions d’habitant·e·s, un des plus grands nombres de milliardaires au monde. Riches banquier·ère·s et industriel·le·s nigérian·e·s sont aujourd’hui les principaux·les acheteur·se·s d’art contemporain.

Longtemps, le monde de l’art au Nigeria a fonctionné en vase clos et les collectionneur·se·s étaient connu·e·s pour acquérir surtout des toiles d’artistes nigérian·e·s, des peintures figuratives, souvent très colorées. “C’était peut-être vrai à un moment, mais cela a beaucoup changé”, assure Delphine Lopez, qui représente la galerie Cécile Fakhoury, installée à Abidjan, Dakar et Paris et qui participe à ArtX pour la troisième édition.

Faire tomber les clichés

Sur son stand, la galerie a d’ailleurs fait le pari de ne présenter aucun·e Nigérian·e, mais trois artistes ivoirien·ne·s et deux béninois·es. Devant les tapisseries de la Franco-Ivoirienne Marie-Claire Messouma Manlanbien, faites de fibres de rafia, de cordes et ornées de coquillages, le public de la foire s’arrête intrigué, et “reconnecte”.

“Il y a une culture de l’art textile ou de la tapisserie qui circule dans toute l’Afrique de l’Ouest, et en même temps ce n’est pas la même qu’on retrouve au Nigeria”, souligne la galeriste. Ouvrir les collectionneur·se·s à d’autres univers mais aussi les acteur·rice·s internationaux·les au marché nigérian, était un des principaux objectifs de la foire lors de sa création en 2016, raconte sa fondatrice, Tokini Peterside, brillante femme d’affaires âgée de 36 ans.

“Je voulais aussi que le monde voie Lagos pour ce qu’elle est vraiment, un endroit très dynamique avec des gens incroyablement passionnés, audacieux et énergiques”, dit-elle. Elle espérait aussi “contrer l’image bien plus négative très souvent donnée du Nigeria”.

Le pays le plus peuplé d’Afrique est plus connu à l’international pour la violence de groupes criminels et djihadistes, comme Boko Haram, qui sévissent dans le nord, que pour la créativité et le dynamisme qui caractérisent Lagos, à des centaines de kilomètres. Son industrie culturelle rayonne pourtant sur le continent et en Occident.

Mais les clichés ont la vie dure. “Quand on a annoncé venir participer à ArtX à Lagos, plusieurs personnes nous ont dit : ‘Vraiment ? Mais ce n’est pas trop dangereux ? Et il y a un marché de l’art là-bas ?'”, témoignent les responsables de la galerie parisienne Septieme. Pourtant, “venir à Lagos était un pari gagnant”, assurent les galeristes qui espèrent, à l’avenir, tisser davantage de liens avec le marché nigérian.

Konbini arts avec AFP