En Irak, le festival des arts de Babylone se réveille après 20 ans d’arrêt forcé

En Irak, le festival des arts de Babylone se réveille après 20 ans d’arrêt forcé

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Par Donnia Ghezlane-Lala

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La dernière édition du festival remonte à 2002, juste avant l’invasion américaine et la chute de Saddam Hussein.

De la danse, des expositions de photos et de peinture : organisé pour la première fois depuis vingt ans, le festival de Babylone a attiré des milliers d’Irakien·ne·s avides d’arts et de musique dans un pays meurtri par des années de violence.

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“C’est un grand bonheur. Nous n’avions pas vu un tel festival depuis des années”, jubile Shaïma, 45 ans, venue avec ses deux filles. Et pour cause : la dernière édition du festival international de Babylone remonte à 2002, juste avant l’invasion américaine et la chute du dictateur Saddam Hussein un an plus tard.

Par la suite, les conflits entre insurgés irakiens et forces américaines, puis les luttes interconfessionnelles et l’occupation d’un tiers de l’Irak par les jihadistes du groupe État islamique entre 2014 et 2017 ont ensanglanté le pays et fait des dizaines de milliers de décès.

Maintenant que l’Irak a retrouvé un peu de stabilité – malgré les attaques récurrentes de cellules de l’EI et les tensions politiques – les Irakien·ne·s regardent vers l’avenir et le festival de Babylone en est l’un des symboles avec ses artistes venu·e·s d’Irak, de Jordanie, de Serbie ou de Russie.

L’édition 2021 aura duré cinq jours, jusqu’à lundi 1er novembre, et attiré plusieurs milliers de curieux·ses. “C’est un sacré changement par rapport aux terribles épreuves que nous avons traversées”, se réjouit Shaïma.

Un site important

Le site de Babylone, au patrimoine mondial de l’Unesco depuis deux ans, est majestueux. Créé en 1987, ce rendez-vous des arts a été notamment organisé dans le théâtre de Babylone, qui aurait été construit par Alexandre le Grand vers 311 avant notre ère et situé à un peu plus de cent kilomètres au sud de Bagdad.

Et comme l’histoire, ancienne et récente, n’est jamais bien loin en Irak, l’un des palais que Saddam Hussein s’était fait construire subsiste encore aujourd’hui à quelques centaines de mètres des ruines de Babylone. “Je suis venu ici en tant que danseur dans les années 1990 et je suis de retour aujourd’hui en tant que régisseur”, témoigne Mohammed Fathy, patron de l’ensemble égyptien Al-Ahram (“Les pyramides”, en arabe), alors qu’en arrière-plan, son groupe joue des mélodies de Haute-Égypte.

À l’ombre d’une réplique de la mythique porte d’Ishtar – dont l’originale avait été construite sous Nabuchodonosor II vers 575 avant notre ère –, le photographe irakien Haider al-Masalmawi décortique pour le public les dizaines de clichés qu’il a pris en Irak et dans le monde entier.

Le festival de Babylone, dit-il, “va relancer l’art, la culture et même l’économie irakienne. C’est une vitrine pour la culture et l’art irakiens”. Mais, preuve que la culture est souvent la grande délaissée dans le budget de l’État irakien, le festival est uniquement financé par des fonds privés, comme l’explique son directeur exécutif, Mohammed al-Rubaye.

“Ma liberté”

M. al-Rubaye a par ailleurs dû faire face aux critiques du gouverneur de la province de Babylone, Hassan Mendil, qui a demandé deux jours avant le début du festival l’annulation des concerts prévus “en réponse aux appels d’étudiants en religion”.

Il faut dire que Kerbala et Najaf, deux villes saintes chiites connues et reconnues comme centres d’études religieuses, sont chacune à moins de cinquante kilomètres de Babylone. Mais Mohammed al-Rubaye a tenu bon et les concerts ont eu lieu : “C’est un joyeux festival qui reflète la culture irakienne”, se justifie-t-il. “Bien sûr, certaines peurs existent et nous devons prendre en compte l’opinion des autres. Partout les opinions sont diverses et nous les respectons”, ajoute-t-il.

Ali Saleh, un spectateur venu de Diwaniya, à 80 kilomètres au sud de Babylone, renchérit : “Nous n’avons pas peur. Si je veux chanter, c’est ma liberté. Il n’y aura pas de ‘velayat el-faqih’ en Irak”, s’exclame-t-il, en référence à la théorie venue d’Iran qui prône la primauté du religieux sur la politique.

En coulisses, et loin de ces préoccupations, le groupe folklorique serbe et les danseurs de dabkeh (danse de groupe en ligne populaire) jordaniens et palestiniens se préparent à prendre d’assaut la scène du théâtre. Le chef de l’ensemble jordanien, Yasser al-Ardawi, remet son keffieh rouge et blanc en place et lance : “Le retour du festival de Babylone après vingt ans d’absence est très important pour nous. Cela signifie que la sécurité et la stabilité sont revenues en Irak.”

Konbini arts avec AFP