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Pour rembourser des dettes médicales, un collectif transforme des factures en œuvres d’art

Pour rembourser des dettes médicales, un collectif transforme des factures en œuvres d’art

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© MSCHF

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Par Lise Lanot

Publié le

Un projet cynique, qui souligne les grandes inégalités du système de santé américain.

Le collectif artistique new-yorkais MSCHF est connu pour ses projets “irrévérencieux” (tel que son nom “mischief”, soit “espiègle”, le suggère), à l’instar de ses bangs en forme de poulets en caoutchouc ou son projet où des photos de pieds sont envoyées numériquement, intitulé Ce pied n’existe pas. Le collectif a récemment fait parler de lui en s’attelant à un sujet phare de la société américaine, particulièrement mis à l’épreuve en ces temps épidémiques : la Sécurité sociale.

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N’oublions pas que, de l’autre côté de l’Atlantique, la santé est loin d’être accessible à tou·te·s. Les soins coûtent extrêmement cher et ne sont pas remboursés – avant la pandémie, 130 millions d’Américain·e·s avaient des dettes médicales. Les citoyen·ne·s dépendent de leur employeur en ce qui concerne leurs frais de santé : alors que le Covid-19 a fragilisé santé et économie, de nombreuses personnes ont perdu leur travail, donc leur assurance santé.

“Medical Bill Art”, 2020. (© MSCHF)

MSCHF a eu l’idée de reproduire à la peinture à l’huile et sur des toiles grand format de vraies factures envoyées à des patient·e·s après des rendez-vous ou autres interventions médicales. Additionnées, ces factures s’élevaient à 73 000 dollars (près de 62 680 euros), une somme évidemment impossible à réunir pour la plupart d’entre nous, même divisée en trois.

En faisant entrer ces factures dans le secteur de l’art contemporain, le collectif ne s’est pas contenté de mettre en lumière le système de santé américain défaillant et injuste. MSCHF a fait de ces factures des œuvres d’art, des œuvres d’art qui ont un prix. Les toiles, intitulées Medical Bill Art, ont été vendues à hauteur de la dette qu’elles représentaient chacune, afin que les patient·e·s s’acquittent des sommes dues.

“Medical Bill Art”, détail, 2020. (© MSCHF)

Dénoncer et aider

Le projet accentue les difficultés auxquelles font face une majorité d’Américain·e·s au cours de leur vie, se voyant souvent obligé·e·s de créer des cagnottes et de compter sur leur popularité numérique pour éponger leur dette, rapporte un des membres de MSCHF, Daniel Greenberg : “Selon nous, le système de santé américain a atteint un point de non-retour dans l’absurdité. Il nous paraissait donc logique que seule une solution rocambolesque nous permette de traiter le sujet”, a-t-il expliqué à CNN.

Pour mettre sur pied le projet, le collectif a commencé par trouver des personnes endettées à cause de leurs soins médicaux. Rien de plus facile, après une annonce passée dans son journal, une centaine de lecteur·rice·s ont partagé leur expérience et le gouffre financier dans lequel ils ou elles se trouvaient :

“Chaque mail reçu était comme un coup dans le bide. Le lectorat de MSCHF est jeune, donc c’était particulièrement dur d’entendre les histoires de lycéens et d’étudiants déjà endettés à hauteur de dizaines de milliers de dollars, juste à cause de leur santé”, s’épanche Daniel Greenberg.

“Medical Bill Art”, 2020. (© MSCHF)

Après avoir vérifié la véracité des faits avancés (et que les traitements médicaux ne faisaient pas suite à des actes violents), le collectif a choisi au hasard trois personnes, restées anonymes. Chaque toile a été vendue au prix indiqué sur la facture représentée.

Un dénouement heureux, mais cynique

Les trois personnes ont pu rembourser, pour cette fois, leurs dettes, mais malheureusement, le projet ne constitue qu’une “œuvre conceptuelle”, précise bien Daniel Greenberg, et n’est pas une “stratégie fiable permettant d’alléger ses dettes”. L’art peut tenter de dénoncer et d’aider autant que possible, mais seules des décisions politiques permettraient de loger tout le monde à la même enseigne.

Que ces dettes aient été si facilement payées par des collectionneur·se·s d’art fait un peu grincer des dents. Bien qu’allégeant la charge de trois individus, aussi lourde soit-elle, ce projet souligne autant les failles du système de santé américain que les fractures et inégalités de la société.

“Medical Bill Art”, détail, 2020. (© MSCHF)

“Medical Bill Art”, 2020. (© MSCHF)