Quitter Hong Kong pour la liberté d’expression : l’artiste Kacey Wong raconte son exil

Quitter Hong Kong pour la liberté d’expression : l’artiste Kacey Wong raconte son exil

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© Edward Wong/South China Morning Post via Getty Images

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Par Lise Lanot

Publié le

"Mon cœur me disait que je ne quitterais jamais Hong Kong, mais voyant ce qui se passait quasi quotidiennement, il était temps."

C’est avec la peur au ventre que Kacey Wong, artiste dissident hongkongais, a embarqué pour Taïwan où il a choisi de s’exiler en juillet dernier. Quand les services de l’immigration ont passé en revue les passager·ère·s en partance pour l’île démocratique, il a tenté d’afficher un air des plus détachés.

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Kacey Wong, 51 ans, était l’un des plus célèbres artistes de la ville, connu notamment pour ses œuvres critiquant les dirigeants politiques et l’emprise croissante de Pékin sur l’ex-colonie britannique. Mais face à la répression par Pékin de toute forme de dissidence à Hong Kong, il s’est résolu à l’exil.

Jusqu’au dernier moment, il s’est demandé si les autorités le laisseraient mener à bien son projet, nombre d’opposant·e·s qui tentaient de fuir ayant été arrêté·e·s à l’aéroport. Quand il a vu de nouveaux agents d’immigration arriver au moment où son vol était appelé, son sang n’a fait qu’un tour : “À une vingtaine de pas de la porte, ils se sont déployés comme s’ils jouaient au football américain pour observer tous ceux qui montaient à bord […]. Sur le plan émotionnel, c’était angoissant.”

Pour annoncer sa fuite, l’artiste a publié sur Facebook une vidéo en noir et blanc dans laquelle il interprète l’ode mélancolique de Vera Lynn “We’ll Meet Again” (“Nous nous reverrons”). Son exil a rencontré un large écho dans la ville que près de 90 000 personnes, sur une population de 7,5 millions d’âmes, ont quitté en 2020.

“Il était temps de partir”

“Je suis parti parce que je souhaite avoir 100 % de liberté d’expression artistique”, a-t-il expliqué à l’AFP, depuis la ville taïwanaise de Taichung. Il a mis à profit sa quarantaine à l’arrivée sur l’île pour réaliser sa vidéo d’adieu. “Je pense que le plus important est qu’en venant ici, je puisse continuer à défendre mes convictions et à pratiquer mon art, je pense que je n’aurais pas pu continuer à le faire à Hong Kong.”

Le centre financier a longtemps été considéré comme un bastion de la liberté d’expression au sein de la Chine. Mais depuis un an, les choses ont radicalement changé. Hong Kong est l’objet d’une reprise en main musclée par le pouvoir central chinois, deux ans après l’immense contestation populaire de 2019. La loi drastique sur la sécurité nationale, imposée l’été dernier, est un des principaux outils utilisés pour éradiquer toute dissidence avec la loi sur la “sédition” datant de la colonisation britannique.

L’artiste, qui a étudié aux États-Unis et est connu pour ses œuvres visuelles contemporaines, militantes et politiques, n’avait rien d’un “patriote”, souligne l’AFP. En 2018, il a interprété l’hymne national chinois à l’accordéon, à l’intérieur d’une cage métallique rouge. Une telle performance artistique serait désormais considérée comme enfreignant la loi sur la sécurité nationale, qui interdit toute “offense” au drapeau ou à l’hymne chinois. Au départ, l’artiste militant Wong était pourtant déterminé à rester à Hong Kong et à éprouver les limites à ne pas franchir.

Un appel à continuer “dans la clandestinité”

Mais l’arrestation, ces derniers mois, d’une cinquantaine de figures de proue de l’opposition lui a fait comprendre qu’il devait se résoudre à l’exil. “Mon cœur me disait que je ne quitterais jamais Hong Kong, mais en même temps, en voyant ce qui se passait quasi quotidiennement… Il était temps de partir”, raconte-t-il. “Je ne reviendrai plus à Hong Kong. C’est pourquoi, lorsque les gens me demandent : ‘Pourquoi êtes-vous ici ?’. Je leur réponds que je me suis auto-exilé.” Parmi les souvenirs emportés dans ses valises, le dernier numéro du journal hongkongais d’opposition Apple Daily, contraint de cesser de paraître, et l’accordéon avec lequel il a joué lors de sa performance The Patriot en 2018.

Il s’inquiète de voir toute expression artistique critique disparaître définitivement à Hong Kong, redoutant que les autorités “aillent jusqu’au bout pour poursuivre tout ce qui est jugé politiquement contestable”. Depuis Taïwan, il appelle les artistes resté·e·s dans la ville à “demeurer dans la clandestinité” tout en “entretenant la flamme” en montrant leurs œuvres à domicile, à leurs proches.

De son côté, il promet de continuer à “défendre la liberté à Hong Kong” et appelle les personnes qui ont fui à l’étranger à faire de même. “À partir de maintenant, Hong Kong restera dans mon cœur parce que Hong Kong tel que je le connais n’existe plus”.

Avec AFP.