Un artiste accuse une galerie azerbaïdjanaise d’utiliser son expo à des fins politiques

Un artiste accuse une galerie azerbaïdjanaise d’utiliser son expo à des fins politiques

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© Ahmet Öğüt

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Par Lise Lanot

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Alors que l'Azerbaïdjan a déclaré la guerre au Haut-Karabagh, l'artiste Ahmet Öğüt refuse l'instrumentalisation de son travail.

L’artiste kurde, né en Turquie, Ahmet Öğüt présentait cette année son travail au centre d’art contemporain Yarat, en Azerbaïdjan. L’exposition, intitulée “Aucun poème n’aime son poète”, s’intéressait aux “structures physiques et sociétales imposées par l’humanité à travers les époques qui divisent les êtres et les cultures” et la façon dont ces structures finissent par constituer des “états perméables”.

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Triste ironie, cette exposition relative aux divisions culturelles et sociétales s’est retrouvée au cœur d’une polémique géopolitique. Pourtant, Ahmet Öğüt affirme que son travail n’est pas politique. Début octobre, hélas, le centre d’art contemporain Yarat publiait sur son compte Instagram une photo de sa façade sur laquelle étaient affichées deux bannières annonçant les expos, dont celle d’Öğüt. Les deux banderoles entouraient un imposant drapeau azerbaïdjanais. En légende, Yarat s’exclamait : “Tout pour la patrie ! ️Le Haut-Karabagh est l’Azerbaïdjan !”

Une affirmation politique

Cette affirmation est éminemment politique. Remettons les choses en contexte. Le 27 septembre dernier, l’Azerbaïdjan attaquait la région du Haut-Karabagh, une république autoproclamée qui lutte pour son indépendance (ou son rattachement à l’Arménie) depuis l’effondrement du bloc de l’URSS en 1991. Depuis bientôt trente ans, le Haut-Karabakh cristallise tensions et volontés d’appropriations.

Œuvre incluse dans l’exposition “Aucun poème n’aime son poète” d’Ahmet Öğüt. (© Ahmet Öğüt)

La situation est dramatique. En début de semaine, la photographe franco-arménienne Rebecca Topakian nous confiait ses inquiétudes :

“J’ai tout de suite compris la gravité de cette attaque. J’étais déjà très inquiète depuis le printemps concernant la montée de ‘l’arménophobie’ dans le monde turcophone. […] Le président turc Erdogan a décidé d’unir son peuple derrière la haine ethnique, envers les Kurdes et les Arméniens, principalement. […]

Ce n’est pas qu’une guerre pour un territoire, il s’agit d’une volonté de nettoyage ethnique. Dans la région du Nakhitchevan, historiquement peuplée d’Arméniens et appartenant à l’Azerbaïdjan, un génocide culturel a été opéré : toutes les églises, cimetières et lieux historiques culturels arméniens ont été rasés.”

Une lettre ouverte pour se faire entendre

Œuvre incluse dans l’exposition “Aucun poème n’aime son poète” d’Ahmet Öğüt. (© Ahmet Öğüt)

Affirmer que “le Haut-Karabagh est l’Azerbaïdjan” revient donc à soutenir la déclaration de guerre du gouvernement azerbaïdjanais contre le Haut-Karabagh. Révolté que son nom soit associé à cette déclaration, Ahmet Öğüt a demandé à la galerie (dirigée par Aida Mahmudova, accessoirement nièce du président dictateur azerbaïdjanais Ilham Aliyev, précise Hyperallergic) de retirer l’image de ses réseaux sociaux et de mettre un terme à son exposition.

Se heurtant au refus du centre d’art Yarat, l’artiste a écrit une lettre ouverte dans laquelle il soutient son “refus que [son] travail soit la proie d’une instrumentalisation politique”. Grâce à cette prise de parole publique, l’exposition a pris fin, mais l’établissement refuse de supprimer l’image, toujours visible sur son compte.

Ce sujet politique semble récurrent pour cette galerie. En 2017 était organisée là-bas une exposition intitulée “Neither War, Nor Peace”. Des artistes azerbaïdjanais·es étaient invité·e·s à “exposer leur vision sur le conflit”.

Garantir l’indépendance artistique

Œuvre incluse dans l’exposition “Aucun poème n’aime son poète” d’Ahmet Öğüt. (© Ahmet Öğüt)

Aujourd’hui, rappelle Rebecca Topakian, l’Arménie – un pays “pauvre et sans ressource, avec une population de trois millions d’habitants” – se retrouve “obligé de se battre pour son existence et pour protéger son héritage contre un pays riche de dix millions d’habitants, soutenu par le géant turc” :

“L’Arménie n’a aucune ressource à offrir aux pays occidentaux pour qu’ils s’y intéressent et se bat seule contre des géants riches et armés. Une vaste opération de propagande et de lobbying essaie de donner l’image d’une ‘simple’ guerre entre deux parties égales, entre deux armées, pour un territoire. En réalité, ce qu’il se joue ici est beaucoup plus grave : les soldats arméniens sont des civils qu’on a habillés en vitesse pour éviter un génocide et un nettoyage ethnique.”

À la fin de sa lettre, Ahmet Öğüt ouvre son propos à l’international, reconnaissant la difficulté que peuvent connaître les institutions culturelles “sous des circonstances politiques difficiles”. Il ajoute cependant que ces mêmes institutions ne devraient jamais se faire des intermédiaires de l’État ou “abandonner leur mission première de protéger l’intégrité, les œuvres et les expositions des artistes.”

Œuvre incluse dans l’exposition “Aucun poème n’aime son poète” d’Ahmet Öğüt. (© Ahmet Öğüt)

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