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5 projets d’art menstruel qui combattent le tabou des règles

5 projets d’art menstruel qui combattent le tabou des règles

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Par Solenn Cordroc'h

Publié le

À chaque nouveau cycle, la femme saigne. Si les menstruations concernent presque toutes les femmes, elles demeurent un tabou dans nos sociétés modernes. Afin de lever le voile sur les règles, des artistes féminines utilisent leurs fluides corporels dans leur processus créatif. Peintures, photographies, performances, de Valie Export à Laëtitia Bourget, toutes se réapproprient leur sang.

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Qui de nos amies n’a jamais utilisé les euphémismes suivants “J’ai mes ragnagnas”, “Les Anglais ont débarqué” ou encore “Je suis indisposée” au lieu de tout simplement déclarer : “J’ai mes règles” ? Injustement décrié et perçu comme abject, le flux menstruel n’a pas bonne presse depuis la nuit des temps. Des mythes aux croyances religieuses, la femme menstruée serait impure ou contaminante, d’où des pratiques encore présentes en 2018, obligeant la femme qui saigne à quitter quelques jours durant, le domicile et son quotidien.

La communication et les réseaux sociaux participent également à alimenter le tabou, à travers des spots publicitaires exposant un liquide bleuâtre au lieu du sang, ou lorsque Instagram bannit l’image de Rupi Kaur allongée sur son lit, une tache rouge maculant son pantalon et drap bleu ciel.

En revanche, quand on ose dévoiler ce flux, tel Brian de Palma à travers le personnage de Sissy Spacek dans Carrie, qui se confronte à ses premières règles dans la scène d’ouverture, avant le célèbre final sanglant, il ne subsiste plus que la volonté émancipatrice et avant-gardiste d’exposer au grand jour le fluide tant caché.

Perçu comme dégoûtant, indécent et bizarre, l’art menstruel est encore trop peu médiatisé et accepté. Loin d’être un nouveau mouvement, les mêmes critiques jaillissent depuis les années 1970 face aux femmes artistes s’emparant de leur fluide, dans le rejet ou l’indifférence générale.

Néanmoins, une nouvelle génération de femmes suit la marche et se rassemble sous la dénomination “d’art menstruel” ou “mentrala”, terme inventé en 2000 par Vanessa Tiegs. Toutes aspirent au même but à travers leurs œuvres : célébrer la femme en dénonçant le tabou et s’affranchir de la norme pour réintégrer les règles sans honte, dans la vie de tous et toutes. Il semble donc essentiel d’entamer un tour d’horizon subjectif des artistes pour exposer au grand jour leurs travaux impactants.

Laëtitia Bourget

La Française Laëtitia Bourget mêle expérience de vie humaine, implantation dans un environnement et cycles de vie dans ses productions diverses. Les Mouchoirs menstruels expose sur un mur une collection qui s’étend de 1997 à 2005. Ces 700 petits mouchoirs pliés en guise de protections périodiques sont peints dans un style primitif, comme un journal intime classé par cycles, dans un but artistique.

Zanele Muholi

Artiste militante qui se bat pour la cause des LGBTQ+ en Afrique du Sud, Zanele Muholi crée, depuis 2006, des mandalas avec le sang de ses règles pour lever le voile sur les viols correctifs en Afrique, censés ramener les femmes homosexuelles dans le “droit chemin”. Intitulée Isilumo Siyalama, expression zouloue signifiant “douleurs menstruelles”, sa série cathartique rend hommage avec force à ces victimes et survivantes. Plus déterminée que jamais, elle poursuivra ce projet aussi longtemps que le corps des femmes sera violenté.

Lani Beloso

“J’essaie de faire quelque chose de beau et d’utilitaire à partir de quelque chose qui, dans le passé, n’a été qu’un fardeau inutile et douloureux”, peut-on lire sur la page d’accueil du site dédié au projet The Period Piece, initié par l’artiste américaine Lani Beloso.

Souffrant d’hyperménorrhée occasionnant des règles abondantes, douloureuses et plus longues que la moyenne, elle décide en 2010 de s’asseoir, pendant ses menstruations et durant douze heures, sur une toile pour libérer toute sa colère retenue en flux. Cette expérience cathartique transformera durablement sa souffrance en art, en libérant physiquement et mentalement une part de sa personne à chaque cycle.

Beauty in Blood

Après avoir découvert la cup et jeté ses tampons, Jen Lewis a exploré son intimité et est ressortie transformée de cette nouvelle relation avec son corps lors de chaque nouveau cycle. Les macrophotographies du duo Beauty in Blood s’appliquent depuis 2012 à prouver, en gros plan, l’esthétique du fluide corporel naturel sans stigmatisation. Ce projet collaboratif exécuté par Jen Lewis et son partenaire masculin Rob Lewis est une ode unique et fascinante au sang.

Valie Export

Malheureusement disparu, l’enregistrement de trois minutes réalisé en 1966 est anthologique. Lors d’une performance, Valie Export utilisait pour l’une des premières fois dans l’art son propre sang. Nue sur un tabouret, l’artiste urinait lors de son cycle, ancrant sur film 8 mm l’expulsion du sang jugée ignoble pour l’époque puritaine.

Grâce à leurs œuvres engagées, chacune de ces artistes participe à un mouvement révolutionnaire, encore trop discret. Aspirant à changer coûte que coûte la vision que le monde porte sur les menstruations, ces femmes participent à la construction future d’une acceptation menstruelle naturelle pour de jeunes femmes en devenir. En espérant que le passage suivant dans l’incontournable ouvrage Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir ne fasse plus jamais écho :

“Chaque fois, la jeune fille retrouve le même dégoût devant cette odeur fade et croupie qui monte d’elle-même − odeur de marécage, de violettes fanées… L’adolescente découvre son sexe sous la figure d’une maladie impure et d’un crime obscur. C’est blessée, honteuse, inquiète, coupable, qu’elle s’achemine vers l’avenir.”