Instagram, l’appli de Facebook qui lui fait de l’ombre

Instagram, l’appli de Facebook qui lui fait de l’ombre

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© Claudio Schwarz/Unsplash

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Dans les coulisses du rachat d'Instagram par Facebook.

En avril 2012, un an et demi après le lancement d’Instagram sur iPhone, Facebook rachète l’application pour un milliard de dollars en liquide et en actions. Une décision “déchirante” pour ses fondateurs, selon Sarah Frier, une journaliste qui a enquêté sur la relation entre les deux partenaires à jamais en compétition. L’auteure de No Filter: The Inside Story of Instagram s’est confiée lors d’un entretien à l’occasion des dix ans de la petite appli de photos devenue un puissant réseau.

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AFP | Quelle était la vision des fondateurs d’Instagram ?

Sarah Frier | Kevin Systrom et Mike Krieger cherchaient un moyen facile et rapide de partager des photos, et ils voulaient aussi les rendre plus artistiques et soignées que les téléphones ne le permettaient à l’époque. Ils ont donc créé les filtres, qui transforment de simples moments de vie en souvenirs nostalgiques. Instagram est ainsi devenu la première plateforme à vraiment exploiter les appareils photo des mobiles et à nous offrir cette satisfaction numérique instantanée.

Le but, au début, était simplement de prendre des photos en ville, dans la nature ou d’ouvrir une fenêtre sur sa vie. Les fondateurs organisaient à San Francisco des événements avec des artistes, des musiciens, des gens de la tech’ qui se passaient le mot. C’est devenu l’endroit cool où il fallait être.

Ils savaient très précisément ce qu’ils voulaient pour Instagram, en termes de style et de l’impression qu’ils voulaient donner. Ils voulaient promouvoir l’art, les créateurs et les communautés, à l’opposé de Facebook, où règne l’obsession de la croissance et des mesures d’engagement, comme le temps passé sur la plateforme.

Pourquoi ont-ils accepté le rachat par Facebook ?

Ils n’étaient que treize employés qui travaillaient 24 heures sur 24 et avaient un mal fou à garder le réseau opérationnel. Chaque fois que Justin Bieber postait quelque chose, l’appli saturait à cause du nombre de commentaires. Un an et demi après la création, Facebook leur a offert une somme d’argent folle et leur a promis qu’ils resteraient indépendants au sein du groupe. C’était la solution la plus sûre pour les fondateurs, grâce à la puissance de l’entreprise de Mark Zuckerberg.

Facebook avait beaucoup d’expérience en gestion de popularité et de passage à très grande échelle, le genre de connaissances dont Instagram avait besoin rien que pour rester en vie. Instagram avait aussi peur de la compétition et ses fondateurs se sont dit qu’il serait plus simple de travailler avec Facebook que contre eux. Et ils dépendaient déjà de la plateforme bien établie pour se faire connaître : les utilisateurs avaient l’option de partager leurs photos sur Facebook et Twitter, ce qui leur faisait de la pub.

Mark Zuckerberg avait conscience, lui, que sa plateforme était en retard sur les mobiles. Il ne savait pas comment progresser dans un environnement contrôlé par Google et Apple. La compétition d’applis comme Instagram, qui était en train de devenir la plateforme par défaut de partage de photos en ligne, lui faisait peur.

Comment s’est passée l’intégration ?

Il y a immédiatement eu des tensions parce que Facebook a continué à considérer Instagram comme un rival. L’équipe en charge de la croissance leur a même dit : “Nous ne pouvons pas vous laisser croître jusqu’à ce que nous ayons déterminé si c’est à cause d’Instagram que les gens ne partagent pas aussi souvent qu’avant sur Facebook.” Par la suite, le réseau les a laissés utiliser les ressources du groupe et grandir à leur rythme, en les ignorant largement.

En 2016, Instagram a compris son plus gros problème, celui de la pression ressentie par les utilisateurs à l’idée que tout contenu doit être léché et impeccable. Ils ont lancé les stories, comme Snapchat, et leur croissance s’est accélérée. Or c’était la période où les scandales s’accumulaient pour Facebook avec la désinformation sur les élections, les vidéos violentes, la polarisation de la société, les problèmes avec la gestion des données…

Face à ces problèmes majeurs, Mark Zuckerberg s’est dit : “Pendant ce temps, nous renvoyons nos propres utilisateurs vers une alternative qui est une menace pour Facebook, pourquoi sommes-nous en train de les aider sans rien en retour ?” Donc le réseau a commencé à restreindre les ressources pour Instagram et a repris le contrôle sur les décisions. Il est devenu de plus en plus difficile pour les fondateurs de garder leur indépendance, donc ils sont partis.

Pour sa deuxième décennie, l’appli va beaucoup plus ressembler à Facebook, avec les recommandations, les notifications, le rapprochement des messageries… Alors qu’avant, ce n’était même pas évident qu’Instagram appartenait à Facebook, on y allait pour échapper au réseau, justement.

Avec AFP.