Rencontre : Parlons poil, le compte Instagram qui veut démocratiser la pilosité féminine

Rencontre : Parlons poil, le compte Instagram qui veut démocratiser la pilosité féminine

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Par Lisa Drian

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Quel est l'avenir du poil et du diktat du summer body ? On a discuté avec les créatrices du compte Instagram Parlons poil.

Parlons peu, parlons bien, parlons poil. L’été est là, le diktat du summer body aussi. Il impose que nous soyons parfaites des pieds à la tête et à tous les niveaux. Hors de question que la petite touffe de poils laissée en jachère vienne faire de l’ombre à l’échancrure de notre maillot de bain.

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À en croire toutes les pubs qui s’infiltrent dans nos fils d’actualité sur les réseaux sociaux, l’épilation laser, c’est OK, l’épilation sans douleur, c’est OK, l’épilation naturelle, au fil, c’est OK, avec une promesse qui revient comme une ritournelle : des poils exterminés jusqu’à la racine et quatre semaines “de bonheur qui riment avec douceur”.

Juliette Lenrouilly et Léa Taieb, toutes deux journalistes, sont les créatrices du compte Instagram Parlons poil et en connaissent un rayon sur le sujet. Depuis janvier 2019, celles-ci récoltent des témoignages – anonymes, de personnalités, de chercheur·se·s – et font des portraits d’artistes autour d’un seul et même sujet : le poil féminin.

Konbini arts : Pouvez-vous résumer le concept de votre compte Instagram, Parlons poil ?

Juliette : On a décidé d’écrire un livre sur le poil féminin, sur la façon dont il est représenté aujourd’hui en France, vécu, perçu surtout. C’est donc un compte Instagram qui permet de relayer toutes nos recherches et toutes les informations qu’on a pu recueillir au fur et à mesure de notre travail. Comme l’idée, c’est “où en est le poil féminin aujourd’hui ?”, on partage aussi toute l’actualité autour du poil qu’on voit passer dans les médias.

Comment vous est venue l’idée de créer ce compte uniquement autour du poil féminin ?

Juliette : Le détonateur a été cette communauté féministe sur Instagram qui commence à montrer ses poils et à en faire un acte militant et politique. On remarque qu’on ne s’est jamais autant épilées qu’aujourd’hui : 80 % des Françaises se déclarent contre le retour des aisselles non épilées d’après un sondage de Glossybox réalisé en 2017 ; et près de la moitié des femmes de moins de 25 ans pratiquent l’épilation intégrale du maillot, selon l’Ifop en 2014. En même temps, on assiste à une révolution du poil sur les réseaux sociaux. On a voulu se pencher sur ce contraste et voir si le poil féminin vit effectivement cette révolution.

Pourquoi passer par Instagram ?

Juliette : Pour déconstruire le regard sur la pilosité féminine et toucher le plus grand nombre de personnes, mais aussi provoquer via ce réseau.

“Le détonateur a été cette communauté féministe sur Instagram qui commence à montrer ses poils.”

Léa : Instagram, c’est aussi le lieu qui fait cohabiter les corps. À la fois les corps sursophistiqués, presque surréalistes et en même temps, l’ultra-naturel, le body-positivisme. C’était aussi une façon de jouer avec les codes d’Instagram, de les détourner en faveur de la réappropriation du corps de la femme. Quand on regarde ce réseau dans sa globalité, on se rend compte que la majorité des corps féminins sont complètement dénués de poils. Dans notre travail, on parle autant de poils que d’épilation.

Ces comptes Instagram qui parlent de poils se destinent à une communauté qui est déjà féministe, déjà engagée et c’est difficile d’atteindre la communauté Instagram de façon plus générale. Même si, d’un autre côté, on a des jeunes filles qui nous disent que grâce à notre contenu, elles ont une possibilité de s’extraire un peu de la norme.

“On cherche à appeler à la réflexion, pourquoi on s’épile aujourd’hui, d’où ça vient.”

Qu’est-ce qui différencie Parlons poil des autres comptes de la même lignée, comme Paye ton poil ?

Juliette : Je trouve que notre compte ne ressemble à aucun autre dans le sens où c’est un compte journalistique, d’information, qui cherche à répondre à une question. On va relayer des infos historiques, anthropologiques, sociologiques, avec des témoignages et de l’analyse en plus. On cherche à appeler à la réflexion, pourquoi on s’épile aujourd’hui, d’où ça vient, etc. C’est un compte militant dans la mesure où en choisissant ce sujet, on démocratise le poil.

Pourriez-vous nous rappeler quand a été instauré le diktat de l’épilation parfaite et à quand remonte l’épilation ?

Léa : L’épilation est adaptée à la mode et aux modèles des maillots de bain. Les maillots de bain sont de plus en plus échancrés, on a donc tendance à avoir une épilation de plus en plus échancrée voire, intégrale. Puis au cours de l’histoire, quand le corps se dénude, l’épilation arrive. C’est aussi avec la démocratisation de la pornographie que s’est imposée l’épilation pour toutes, du maillot en particulier et de plus en plus intégral. On ne peut pas dater le moment de l’épilation, parce que ça a toujours existé de façon plus ou moins diffuse, il y a eu des modes, des mouvements.

Juliette : Par exemple, dans l’Égypte antique, les femmes s’épilaient pour des raisons d’hygiène, elles pensaient que ça évitait les parasites, pour se préparer à l’acte sexuel… Puis le poil est devenu érotique, ce qui n’est plus le cas maintenant. C’était sexy, c’était animal. Selon les époques, les modes pro et anti poils apparaissent pour des raisons différentes, c’est une variable.

Léa : Cette notion-là évolue aussi en fonction de la classe à laquelle tu appartiens. Dans les classes les plus modestes, les femmes n’ont pas le temps de s’épiler. Donc la perception du poil varie en fonction des époques, mais depuis toujours, les femmes s’épilent plus que les hommes pour creuser l’écart entre les genres, ce qui est moins le cas aujourd’hui.

“Il y a une vraie méconnaissance sur l’utilité du poil aujourd’hui, à quoi il sert, à quel endroit…”

Juliette : À partir des années 1980, qu’on a appelées “les années sida”, “les années hygiénistes” ou “hyper hygiénistes”, beaucoup se sont mises à s’épiler pour ne pas avoir de microbes, mais ce n’était pas conscient ni prouvé scientifiquement. Alors que finalement, les poils sont une barrière de protection. Selon nous, c’est de là que vient la mode de l’anti poils.

Aujourd’hui, c’est ce qu’on a vu avec des sociologues, on est à la fois dans une période hygiéniste, mais aussi dans une période de retour au naturel. On va manger bio, végétarien et on se laisse pousser les poils. On est vraiment dans cette dualité, on va toujours plus s’épiler, au laser, se faire une épilation intégrale…

Léa : Et s’épiler l’inter-fessier [rires] ! C’est aussi le marketing qui a renforcé cette tendance. Si tu as des poils l’été, le marketing t’oblige à tout raser. Le poil féminin n’est même pas montré, c’est un véritable tabou. Puis tu as toutes les discriminations qui vont naître dans tous les cercles dans lesquels tu vas évoluer, que ce soit à l’école, dans la famille, à l’adolescence, dans le cadre d’une relation sexuelle…

Quel sera le futur du poil féminin ?

Léa : On a posé cette question à un chasseur de tendances, Vincent Grégoire, qui nous a répondu qu’avec le coronavirus, on va plutôt se rapprocher des années hygiénistes pour faire disparaître les microbes. Il y a une vraie méconnaissance sur l’utilité du poil aujourd’hui, à quoi il sert, à quel endroit…

“On s’épile pour ne pas avoir à faire face au regard de l’autre.”

En quoi le confinement a-t-il joué sur la perception qu’on a de nos poils ?

Juliette : Le confinement a permis à certaines de mieux appréhender leurs poils. On s’est rendu compte, avec tous les témoignages qu’on a reçus, qu’on s’épile pour ne pas avoir à faire face au regard de l’autre. On va s’épiler à un rendez-vous Tinder, en allant à la plage, à la piscine, etc. Avec le confinement, les femmes ont laissé pousser leurs poils beaucoup plus facilement parce que personne ne les voyait.

Léa : Mais ce sont majoritairement des femmes féministes, rarement des femmes qui l’ont fait simplement pour expérimenter.

Juliette : Certaines ont vu pour la première fois leur corps avec des poils et ont pu s’y habituer.

Léa : Elles ont découvert leur texture, leur couleur, que ça pouvait être doux, qu’on pouvait vivre avec et qu’il n’y avait pas forcément de stéréotypes comme quoi le poil piquerait. Il y en a certaines qui se sont même attachées à cette nouvelle pilosité. Certaines nous ont dit : “Je trouve qu’ils sont pas mal, ils sont doux, ils sont clairs.”

Est-ce que le confinement a été une première étape dans la libération du poil ?

Léa : Oui carrément, parce que tu découvres ta pilosité telle qu’elle est au naturel, tu la dédiabolises, tu l’appréhendes, tu l’apprivoises et tu te rends compte qu’elle n’est pas aussi dégueulasse que tu pourrais le croire et tu déconstruis progressivement toutes les idées reçues.

“Ce qui fait changer les mentalités par rapport aux poils, plus que le confinement, c’est la quatrième vague féministe.”

Selon vous, est-ce que les réseaux sociaux influent sur une potentielle prise de décision de se laisser pousser les poils ?

Juliette : Ce qui fait changer les mentalités par rapport aux poils, plus que le confinement, c’est la quatrième vague féministe. Cette période arrive à partir des années 2010. Il s’agit de la démocratisation du féminisme par les réseaux sociaux. Je commence à voir des poils sur Internet, sur Instagram depuis trois, quatre ans, alors que je n’en avais jamais vu avant. Petit à petit, les gens s’habituent à voir des poils, leur diversité.

Est-ce qu’il y a une vraie avancée sur la perception du poil féminin aujourd’hui ?

Léa : Oui et non, les femmes ne sont pas libres de faire ce qu’elles veulent de leurs poils et de leur corps. Si elles décident de garder leurs poils, elles s’exposent au harcèlement, à de la violence sexiste, de l’humiliation au quotidien. Même dans le cadre professionnel, on peut leur faire une sorte de chantage : si elles ne s’épilent pas, elles portent atteinte à la réputation de la boîte. Même l’employeur a son mot à dire sur le corps de la femme.

Juliette : Les poils arrivent aussi maintenant dans les pubs de multinationales, ce qui n’est quand même pas anodin. Pendant le confinement, j’ai même vu des poils dans Vogue, et la plupart des marques de sous-vêtements body-positives créées ces dernières années en montrent aussi. On voit le poil dans tous ses états mais ça reste encore confidentiel. Il y a aussi eu la une du Cosmopolitan de juin dernier qui montrait une femme à barbe.

© Cosmopolitan

“C’est beaucoup plus difficile en tant que femme ronde, noire, issue d’un milieu un peu plus populaire, de s’affirmer avec des poils, parce que ça crée une double discrimination. On dira qu’elle est négligée, alors qu’une femme blanche sera associée à une militante, à un acte politique.”

Si vous deviez choisir un compte Instagram ou un témoignage qui vous a marquées, ça serait quoi ?

Juliette : J’ai tout de suite envie de dire Le Sens du poil [dont nous avons déjà parlé, ndlr], elles ont publié des photos de meufs poilues sur Instagram et c’est un peu les pionnières de la normalisation du poil.

Léa : Elles veulent montrer le poil sur toutes. Elles faisaient des appels à témoignage pour avoir des modèles, mais les filles qu’elles recevaient avaient toujours le même profil : blanches, minces, privilégiées, qui correspondaient déjà à un standard de beauté et qui ne sortaient pas trop de la norme. Puis elles ont essayé d’aller vers des filles qui étaient noires, rondes et elles se sont rendu compte que c’était beaucoup plus difficile en tant que femme ronde, noire, issue d’un milieu un peu plus populaire, de s’affirmer avec des poils, parce que ça crée une double discrimination. On dira qu’elle est négligée, alors qu’une femme blanche sera associée à une militante, à un acte politique.

Juliette : Sur les témoignages, c’est plutôt le nombre qu’on recevait qui m’a impressionnée, on a l’impression que ce n’est pas tabou, mais en fait si. On a reçu des témoignages de filles traumatisées au collège par leur mère, parce qu’il fallait absolument qu’elles enlèvent leurs poils. On a l’impression que c’est un sujet finalement pas très important, mais quand on lit tout ça, on se rend compte que c’est une charge mentale, une prise de tête.

Ce compte Instagram, c’est aussi une façon de teaser leur livre, qui sortira en 2021, aux éditions Massot.