Sur Instagram, les “gun influenceurs” prennent la pose avec des armes à feu

Sur Instagram, les “gun influenceurs” prennent la pose avec des armes à feu

Image :

© Miss Lauren Victoria

photo de profil

Par Pauline Allione

Publié le

Grâce à des posts sponsorisés, les lobbies pro-armes font leur promo sur les réseaux.

Les influenceur·ses représentent un réel potentiel marketing, ce n’est plus à prouver, jusque dans les produits ménagers. Et il semble que les fabricants d’armes l’aient bien compris, puisqu’ils ont eux aussi fait des réseaux sociaux leur terrain de jeu, pour y diffuser leur propagande pro-armes.

À voir aussi sur Konbini

De la même façon qu’avec une crème de jour, un shampoing ou une marque de thé détox, des instagrameur·ses sont donc payé·e·s pour poser avec une arme à feu. Sur le réseau social, ils sont des dizaines (très majoritairement des femmes) à tirer une rétribution de partenariats publicitaires avec des vendeurs d’armes : certaines sont vétéranes, chasseuses, mannequins…

Suivies par des milliers d’internautes, elles s’affichent dans des poses sexy avec une arme entre les mains, à la Lara Croft, ou se font filmer en pleine séance de tirs. Lauren Young, ancienne membre de la police militaire et influenceuse, est passée maître en la matière. Sur son compte Instagram, elle se montre avec des fusils, des armes de poing ou des mitraillettes.

“Elle tire aussi joliment qu’elle en a l’air, au cas où vous vouliez savoir”, écrit-elle au sujet d’un fusil qu’elle tient au bras. Et d’après les images, sa passion pour l’armement est totale : la jeune femme boit son café dans des tasses à l’effigie de la Black Riffle Coffee Company, un torréfacteur américain créé par des vétérans.

Même chose pour la Texane et assistante juridique Liberte Austin, qui en plus de faire la promo des kits de blanchiment dentaire et de compléments alimentaires – jusque-là rien d’anormal – pose régulièrement en position de tir, un œil dans le viseur. Et pour cause, l’influenceuse est aussi ambassadrice de marques de vêtements patriotiques et d’abonnements à des coffrets de matériel tactique.

Kimberly Matte, de son côté, préfère poser en lingerie sexy, un gun entre les mains. Une mise en scène un brin cliché, mais qui remplit bien son contrat : avec ses publications, la mannequin canadienne participe à redorer l’image de l’armement en lui donnant un côté badass et sexy. On en oublierait presque que ces objets servent à tuer.

“Elles peuvent promouvoir nos produits mieux que nous”

Selon Kyle Clouse, responsable marketing de Liberty Safe, spécialisée dans la vente de coffre-forts pour armes à feu, ces influenceuses sont “des poules aux œufs d’or”. Si elles sont tant précieuses, c’est parce qu’elles seules sont capables de contourner les restrictions imposées aux fabricants d’armes sur les réseaux sociaux, qui ont l’interdiction de faire la publicité d’armes à feu ou de répliques, de munitions, d’explosifs ou d’armes blanches.

“Elles peuvent promouvoir nos produits mieux que nous. C’est ça qui est triste, parce qu’elles ne sont pas une entreprise d’armes. On peut les payer pour promouvoir nos produits, mais on ne peut pas le faire nous-mêmes. Au regard de Facebook et Instagram, c’est vraiment le seul moyen pour les fabricants d’armes de grandir”, déplore DeeAnna Wandell qui travaille chez Gunship Helicopters (une entreprise qui propose des séances de tirs du haut d’un hélicoptère), à la journaliste de Vox.

En échange de ces posts, les jeunes femmes reçoivent une somme d’argent proportionnelle à leur influence sur Instagram, ou des armes gratuitement. D’ailleurs, Lauren Young, Kimberly Matte et Liberte Austin rentrent toutes les trois dans la catégorie des micro-influenceuses (entre 50 000 à 500 000 abonné·e·s). Mais si elles sont moins suivies que les stars ou certains sportifs, elles ont en revanche plus d’impact, comme l’explique le média américain Vox : “Les plus petits auditoires ont tendance à être plus engagés car le style de vie de leur influenceur semble plus réel et accessible.”

Pour les fabricants d’armes, ces mannequins représentent en outre l’opportunité de promouvoir tout un style de vie. Au cœur de celui-ci, les armes à feu, la chasse, les vêtements militaires, les stands de tir…

Les lobbies jouent la carte du féminisme

Si l’on décèle aisément le sexisme à peine dissimulé derrière ces stratégies marketing, qui utilisent des jolies filles pour rendre leurs produits attirants, les marques se réclament pourtant féministes. Pour se faire, certaines n’ont pas hésité à surfer sur le mouvement #MeToo et à défendre le droit des femmes à porter une arme.

La National Rifle Association (NRA) a notamment axé sa communication sur l’argument de la défense des femmes pour toucher le public féminin. Ainsi, en février 2018, la NRA était critiquée pour les propos de sa porte-parole Dana Loesch sur CNN, après que celle-ci a affirmé que les fusils pouvaient éviter aux jeunes femmes de se faire agresser sexuellement.

Pourtant, les chiffres ne confirment pas les dires de la représentante de la marque, en ce qui concerne l’aspect sécuritaire des armes pour les femmes. D’après une compilation d’études sur les armes et les violences domestiques envers les femmes, 50 femmes américaines en moyenne sont tuées chaque mois par leur partenaire avec une arme à feu. Parallèlement, la présence d’une arme dans les situations domestiques violentes multiplie par cinq les chances pour une femme de se faire tuer. Des chiffres qui font froid dans le dos, et qui rendent d’autant plus absurdes les posts sponsorisés de celles que l’on appelle des gun influencers.