Si le Joueur du Grenier peut devenir la Joueuse, tout le YouTube game devrait pouvoir en faire autant

« Une, Deux, Trois, Quatre… femmes ! »

Si le Joueur du Grenier peut devenir la Joueuse, tout le YouTube game devrait pouvoir en faire autant

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Par Pierre Bazin

Publié le

Le doyen de YouTube est devenu la doyenne et c’est plaisant.

“Il n’y a pas de femme sur Internet” : cette “règle” officieuse du Web serait née à l’ère des MUD (multi-user dungeons), les tout premiers MMORPG. En effet, il arrivait souvent que des joueurs masculins incarnent des avatars féminins dans le jeu, faisant naître cette fausse règle humoristique comme quoi les femmes ne seraient qu’une licorne sur Internet.

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Derrière cet apocryphe du début des internets se cache une vérité bien moins amusante : les femmes ne sont pas toujours les bienvenues sur Internet. Sur les jeux en ligne, elles cachent le fait qu’elles sont des femmes ; d’ailleurs, être désignée comme une joueuse est une insulte couramment utilisée. Et sur Internet en général, on ne compte plus les exemples de cyberharcèlement envers les femmes. Cela va des menaces aux insultes, en passant par de terribles choses comme les détournements pornographiques.

Mais au-delà du sexisme ambiant sur Internet qui pourrait, tristement, être un simple reflet de la “vraie vie”, sa prédominance virtuelle interroge. Depuis quelque temps, c’est notamment la question de la représentativité des femmes sur la plateforme YouTube qui agite de nombreux débats parmi les internautes.

Où sont les femmes sur YouTube ?

La semaine dernière, la créatrice Lapeint a publié une vidéo interrogeant justement la présence des youtubeuses sur la plateforme vidéo phare. La vidéaste expose, chiffres et étude personnelle à l’appui, l’invisibilisation des femmes sur YouTube. En effet, en ayant analysé les 230 plus grosses chaînes de YouTube France, force est de constater que seules 18 % d’entre elles sont tenues par des femmes ou ont au moins une femme à l’image (dans un collectif, un couple, etc.).

Un manque de représentation qui n’est pourtant pas lié à l’audience de YouTube France, qui est même plus féminine avec une proportion de 51,7 % d’après un récent rapport. Mais le top 230 des chaînes YouTube n’est pas forcément le plus pertinent, comme l’explique Lapeint. Car, en termes de vues de vidéo, le constat est même encore pire. Au-delà des créateurs et créatrices, c’est la présence ou plutôt l’absence affligeante de femmes invitées dans les top vidéos de YouTube France qui saute aux yeux.

D’apparents “bons élèves” comme le numéro un Squeezie n’ont en réalité invité que 20 % de personnalités féminines sur leur chaîne en 2023, tandis que d’autres youtubeurs populaires comme Amixem n’en ont tout simplement pas invité depuis 2019 – avec 4 vidéos sur 941 au total. Même constat chez les youtubeurs plutôt orientés fiction comme Cyprien et Mister V, qui font largement plus souvent appel à des comédiens qu’à des comédiennes.

Pire encore, les quelques invitées femmes sur les chaînes comme Léna, Natoo ou Maghla sont parfois injustement traitées de “quotas”, les renvoyant sans cesse à leur rôle de “femmes-totems”.

Si on pouvait autrefois qualifier de “maladresse” l’oubli de 50 % de la population, aujourd’hui, c’est la responsabilité des top créateurs francophones qui est interrogée. Alors que le récent rapport du Haut Conseil à l’Égalité “La Femme Invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme” tirait déjà la sonnette d’alarme en novembre dernier, il incombe désormais aux nouveaux influenceurs de s’emparer très sérieusement de cette question.

Et le Joueur devint la Joueuse

Dimanche dernier, le vidéaste Frédéric Molas a sorti un nouvel épisode du Joueur du Grenier (JDG) pour revenir sur les jeux Wii dont le marketing ciblait exclusivement les filles à l’époque. Et oui, que les jeux Wii soient considérés comme des jeux rétro fait mal.

Mais il s’agit surtout d’un épisode très original dans lequel, via un univers parallèle, le Joueur est devenu la Joueuse du Grenier. C’est en effet la comédienne Laëtitia Neveux, actrice récurrente des épisodes JDG, qui remplace Frédéric Molas dans le rôle éponyme de la chaîne. On retrouve également à ses côtés trois autres comédiennes, dont Camille Fievez, qu’on connaît pour avoir animé la chaîne de fiction humoristique Glamouze.

Et sans surprise, l’épisode est tout aussi excellent, si ce n’est même meilleur, de par son audacieux parti pris. La comédienne de la Joueuse réussit à reproduire la moindre mimique ou intonation qui ont rendu culte le personnage de JDG. Un épisode de 25 minutes qui ne laisse même pas beaucoup de place à l’habituel duo masculin de Fred et Seb, éclipsé par la présence à l’écran des quatre comédiennes.

Le tout sans pour autant édulcorer l’humour noir et le discours acide et satirique qui ont construit l’identité du JDG. Car ce n’est pas une volonté militante du JDG de proposer un épisode “féministe”. Frédéric Molas est un monument de l’Internet francophone présent sur YouTube depuis 2009, mais le taxer de “politiquement correct” serait assez osé.

Pratiquant avec aisance l’ironie, ce doyen de YouTube se qualifie lui-même aisément de “vieux con”, voire rit avec autodérision de son “côté réac”. D’ailleurs, pour en revenir au feat, s’il accepte d’être invité chez quelques autres vidéastes, il ne le pratique pas ou très peu sur sa chaîne YouTube. Il y a quelques années, il avait même poussé un coup de gueule pour exprimer son ras-le-bol du format “feat and fun” et l’omniprésence du featuring sur YouTube.

Des efforts qui n’en sont pas et qui payent pour autant

Si même le JDG est capable de dépoussiérer son émission de presque 15 ans en amenant plus de femmes à l’écran, évoquant en plus un sujet qui les concerne directement, celui des jeux “pour filles” bien souvent créés par des développeurs masculins, avec tous les clichés que cela implique… Dans cet épisode, les blagues rient du sexisme, pas des femmes, et l’audience féminine du JDG semble d’ailleurs avoir particulièrement apprécié cet épisode “spécial” :

Frédéric Molas n’a jamais été particulièrement sous le feu de critiques l’accusant de ne jamais inviter de femmes sur sa chaîne YouTube, et pourtant, il l’a fait. Ce n’est d’ailleurs pas le seul, et on peut citer le vidéaste Edward, qui opère également dans le registre du retrogaming avec son émission Rétro Découverte qui a, par exemple, publié un épisode entier dédié à GTA: San Andreas incarné par quatre femmes.

Enfin, et toujours dans le registre du jeu vidéo (qui souffre encore à tort d’une image très masculine), la quatrième édition de SpeeDons organisée par le streamer mistermv a fait la part belle à la représentativité en invitant parmi l’équipe de cast ou de speedrun plus de femmes ainsi que des personnes trans et non binaires. Une initiative largement louée par l’ensemble de l’audience.

Les bons exemples existent et apparaissent de plus en plus. On pourrait encore par exemple citer un récent épisode de l’émission Popcorn avec un casting d’invitées 100 % féminin. Mais les réactions, parfois excessives, engendrées par ces initiatives sont aussi révélatrices de l’invisibilisation des femmes sur YouTube et ne manquent pas de rappeler que beaucoup de travail reste à faire.