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Depuis 20 ans, Tom de Pekin dessine les gays avec humour et ferveur

Depuis 20 ans, Tom de Pekin dessine les gays avec humour et ferveur

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© Tom de Pekin

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Par Lise Lanot

Publié le

Rencontre avec l’artiste dont l’homoérotisme ludique et décomplexé partage l’affiche d’un militantisme en constante évolution.

Au début des années 2000, Daniel Vincent délaissait la maison d’édition qu’il avait montée en 1994 pour se lancer dans l’aventure Tom de Pekin, le nom de son alter ego artiste dont les dessins ludiques et coquins mettent en lumière la communauté gay et participent à “une réflexion sur les minorités” depuis deux décennies.

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Ces vingt années de carrière, témoins de l’évolution et des remous de la représentation gay en France, sont à explorer dans une exposition organisée par la galerie Arts Factory, à Paris. “Où vont les fleurs du temps qui passent ?” réunit des dessins, peintures, films et collages de l’artiste (venant entre autres de ses publications phares, telles que Rêve au cul, Tom de Savoie, Haldernablou ou encore Des Godes et des Couleurs) en même temps que des “documents d’archives”.

Portrait de Tom de Pekin. (© Cécile Brousté)

L’exposition s’ouvre avec les débuts de Tom de Pekin et sa volonté de prendre action dans le milieu du graphisme, au sein duquel il travaillait alors, où “tout ce qui concernait les minorités était très peu présent” :

“Ça n’allait que dans un sens, tout était très hétéronormé. Même si ça pouvait être complètement anarchique ou alternatif, c’était toujours très orienté et les minorités y étaient invisibles.

C’était notamment dû au grand vide causé par les morts du sida et par le VIH, qui prenait toute l’énergie de ceux qui étaient encore vivants. Ça prenait toute leur vie, militants ou pas, ce qui fait qu’on se recréait notre propre invisibilité, qui n’était pas voulue mais causée par la situation”, rappelle l’artiste, joint par téléphone à quelques heures de l’ouverture de son exposition.

“Décor montagneux”, 2017. (© Tom de Pékin)

Créer “des livres qui n’existaient pas”

Pour s’émanciper de cette “histoire de sacrifices et de souffrances” amplifiée dans les années 1980, Tom de Pekin prend le parti de l’humour, proposant un univers fait de jeux de mots visuels, d’érotisme ludique et de poilade décomplexée, avec l’idée d’enfin créer les ouvrages qu’il aurait lui-même aimé avoir dans sa bibliothèque : “Ces livres n’existaient pas, la seule manière de les avoir, c’était donc de les faire.”

“Quand est arrivée la trithérapie, les gens ont commencé à comprendre qu’ils n’allaient peut-être pas mourir. De mon côté, il y a eu un réveil par rapport à ça. Je me suis dit qu’il fallait peut-être remettre un peu de ludique dans l’histoire.

J’avais l’idée aussi de me retrouver une place dans les milieux où on n’était plus présents. Pour ce faire, j’ai utilisé des systèmes militants, en détournant des représentations visuelles, en déplaçant les choses et en les décalant pour m’en réapproprier les codes.”

“Rivière”, 2020. (© Tom de Pekin)

“Mon travail, c’est un déplacement de choses qui se croisent, se juxtaposent et s’enrichissent”

Tombé jeune dans le giron des musées des beaux-arts, il mélange les influences au gré de ses envies et de ses rencontres. Ses personnages, souvent dénudés, solitaires ou en quête d’un peu d’amour et de bon temps, s’émancipent dans des paysages pop et classiques – inspirés de la peinture des XVIIIe et XIXe siècles –, puisque “tout finit par se croiser et se mélanger”. “Mon travail, c’est un déplacement de choses qui se croisent, se juxtaposent et s’enrichissent”, explique-t-il.

Un militantisme en constante évolution

Là où le militantisme de Tom de Pekin est le plus présent, c’est peut-être dans son désir de ne pas continuellement en occuper tout l’espace. Après dix années de succès, il entame un tournant :

“Vers 2009, je me suis rendu compte que plein d’artistes, hommes, femmes, trans, etc. étaient là et se mettaient à travailler et à faire des choses. Je me suis dit que j’avais fait le tour, que je pouvais plutôt être un allié et que je pouvais laisser la place, parce que je trouvais que j’en occupais trop justement. C’est important d’occuper une place, d’être présent parce que ça manque, mais au bout d’un moment, il est temps d’aller vers autre chose et c’est ce que j’ai ressenti.”

“A very very small splash/Sunset”, 2020. (© Tom de Pekin)

Tom de Pekin continue alors de travailler à la réappropriation des corps et des histoires, mais préfère “quitter ce qui était tourné autour du symbole pour aller plutôt vers l’intérieur des choses”. Sa volonté de “laisser la place” à d’autres n’épuise pas pour autant son rayonnement.

En 2013, Roy Genty et Alain Guiraudie, respectivement directeur artistique et réalisateur de L’Inconnu du lac, demandent – un peu au dernier moment – à Tom de Pekin de réaliser l’affiche du film, connaissant son œuvre et son trait. “Ils avaient une idée très précise de ce qu’ils voulaient, reprendre les tableaux de Giotto, faire une sorte de roman graphique. L’idée, c’était que, quand les gens sortaient du film, ils redécouvrent les scènes en dessin. Ça renvoyait à une certaine histoire de la peinture et ça me plaisait beaucoup”, se remémore l’artiste.

Affiche de “L’Inconnu du lac” d’Alain Guiraudie, dessinée par Tom de Pekin. (© Les Films du Losange)

Les propositions de Tom de Pekin sont acceptées avec enthousiasme. Le film, qui raconte une histoire d’amour entre deux hommes au bord d’un lac, est montré à Cannes, accompagné des dessins en question. Une fois le film sorti en salles, les affiches font l’objet d’une malheureuse instrumentalisation. Jugées trop “crues”, elles sont retirées des municipalités de Versailles et Saint-Cloud.

A posteriori, Tom de Pekin y voit presque un mal pour un bien : “Au moins, tout ça a donné de la visibilité au film.” À titre personnel, il affirme ne pas s’être senti “attaqué” par la polémique, notamment parce que “quand on fait une image, on ne sait pas ce qu’elle va devenir, elle vous quitte, elle ne vous appartient plus et c’est normal”.

“Archive 56”, 2020. (© Tom de Pekin)

“Ce qui était compliqué, c’était plutôt la période de la ‘Manif pour tous’, qui a réactivé beaucoup de choses”, s’attriste le dessinateur. Dix ans plus tôt, il sentait déjà venir ce retour au puritanisme, qui lui inspira ses Coloriages au secours de l’ordre moral, en 2003.

Déjà, il créait un “support exutoire” poussant chacun·e à s’exprimer. Parce que, pour Tom de Pekin, ce qui importe le plus, c’est que tout le monde puisse s’exprimer et surtout s’écouter, à la manière de ses personnages qui, nus ou cagoulés, sombres ou vifs, n’ont pour seul mot d’ordre la liberté d’exister.

“Tom, île du Frioul”, 2020.(© Tom de Pekin)

“Clémence, île du Frioul”, 2020. (© Tom de Pekin)

L’exposition consacrée au travail de Tom de Pekin, “Où vont les fleurs du temps qui passe ?”, est visible à la galerie Arts Factory jusqu’au 27 mars 2021.