Elena Palumbo-Mosca a laissé son ADN dans le bleu d’Yves Klein

Elena Palumbo-Mosca a laissé son ADN dans le bleu d’Yves Klein

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© François Walschaerts/AFP

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Elena Palumbo-Mosca a couvert son corps du bleu devenu iconique de l’artiste français, déposant son empreinte sur des œuvres valant une fortune.

Elena Palumbo-Mosca a passé sa vie en bleu Klein. “Yves nous faisait mettre de la peinture sur le ventre, les seins, les cuisses, parfois les mains. Il portait des gants blancs pour montrer qu’il ne touchait pas à l’œuvre, sa participation était conceptuelle”, se souvient l’Italienne, rencontrée dans son appartement de Bruxelles où elle vit entourée de livres d’art.

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“Cela demandait beaucoup de précision et de concentration, s’appuyer ni trop ni pas assez. Je réalisais le monochrome en me roulant sur une toile par terre. Les deux autres femmes le faisaient à la verticale contre un carton”, explique l’octogénaire, qui a été interprète une trentaine d’années auprès d’institutions européennes.

Pour cette première performance qui a lieu dans une galerie parisienne en mars 1960, la critique parlera de “pinceau vivant”, un terme qu’elle récuse, lui préférant celui de “collaboratrice” du créateur, mort il y a soixante ans, en juin 1962.

“J’ai lutté contre cette expression. Je ne suis pas un objet mais une personne qui a partagé avec Yves certaines idées et qui l’a aidé par amitié et par curiosité à les réaliser”, confie-t-elle. C’est par l’intermédiaire de l’artiste Arman, célèbre pour ses sculptures réalisées à partir d’objets trouvés, qu’elle rencontre Klein. Un bleu outremer porte le nom du peintre, l’International Klein Blue (IKB), une teinte inspirée des fresques de Giotto qu’il fera breveter.

Elle n’a pas compté les “anthropométries” auxquelles elle a participé – “vingt ou trente” –, mais “il était clair qu’on faisait quelque chose que personne n’avait jamais fait”. “C’était mon côté ‘épatons le bourgeois'”, reconnaît Elena Palumbo-Mosca.

Plongeon artistique

Elle n’a qu’un lointain souvenir des réactions du public – “certains s’arrachaient les cheveux, d’autres applaudissaient” – et pour cause : “Dès qu’on avait fini notre travail, on partait se laver en coulisses, cette peinture était quand même toxique.”

Il fallait en tout cas être résistante physiquement pour travailler avec Klein, en particulier pour les Peintures de feu, se rappelle celle qui a chaussé les skis toute petite dans son Val d’Aoste natal, dans le nord-ouest de l’Italie. Elle pratiquait le patinage, la danse et a été championne de plongeon artistique à 16 ans.

Leur réalisation au centre d’essais de Gaz de France, peu avant la mort de l’artiste à 34 ans, n’a pas été de tout repos. “Les ateliers étaient pleins de courants d’air. Il nous arrosait d’eau froide pour faire des empreintes sur le carton. Quand on se retirait, il passait la partie mouillée à la flamme, la silhouette se dessinait, surgissant du néant, c’était beau.”

Ces dernières œuvres représentent “un aboutissement de sa pensée, le divin exprimé par l’eau et le feu qui correspondent à la cosmogonie japonaise, les couleurs sacrées, rose, bleu et or. Tout était réuni. Je ne sais pas ce qu’il aurait fait après”, confie-t-elle à la fois songeuse et admirative.

Plongée dans cette avant-garde artistique, la jeune femme issue d’un milieu de musicien·ne·s a “appris peu à peu à ouvrir les yeux”. “Je crois que Klein a apporté une solution au moment où la représentation du réel battait de l’aile. Beaucoup de peintres étaient face à une porte fermée. Et je pense qu’Yves a trouvé la sortie, notamment en donnant à la couleur tout son espace.”

À l’époque, la jeune femme n’a pas été payée alors que des “anthropométries” se sont vendues ces dernières années plusieurs millions de dollars, mais Elena Palumbo-Mosca refuse “de mêler l’argent” à son travail avec le plasticien. En cas de coup dur, elle sait qu’elle peut compter sur une amitié indéfectible forgée avec une jeune artiste allemande, qui travaillait elle aussi chez Arman : Rotraut Uecker, qui épousa Klein en janvier 1962. Elles s’appellent régulièrement.

À Paris, où elle faisait ses études d’interprète, financées en dansant la nuit dans les cabarets de Pigalle, elle a côtoyé les jazzmen états-uniens et croisé l’écrivain James Baldwin. Aujourd’hui, elle se considère toujours un peu comme une rebelle, “dans la mesure du possible”, et prend toujours autant de plaisir à contempler le bleu de Klein.

Konbini arts avec AFP