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Héritage nazi : l’artiste juive Miriam Cahn veut retirer ses œuvres d’un musée suisse

Héritage nazi : l’artiste juive Miriam Cahn veut retirer ses œuvres d’un musée suisse

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© Christian Charisius/Picture alliance via Getty Images

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Par Lise Lanot

Publié le

La peintre refuse de voir ses œuvres exposées avec la collection, à la "provenance suspecte", du marchand d’armes Emil Bührle.

Miriam Cahn, une artiste suisse de confession juive veut retirer ses œuvres du Kunsthaus de Zürich, musée d’art suisse, qui accueille la collection Bührle, ternie par le soupçon d’être en partie constituée d’œuvres acquises à la faveur de la persécution des Juif·ve·s par les nazis.

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“Je ne veux plus être représentée dans ce Kunsthaus de Zürich”, déclare Miriam Cahn, artiste de renommée mondiale, dans une lettre adressée à l’hebdomadaire juif Tachles. Depuis l’ouverture d’une nouvelle aile du célèbre musée suisse pour accueillir de manière permanente la collection Bührle, le Kunsthaus est au cœur d’une polémique qui ne cesse de rebondir.

D’origine allemande, puis naturalisé Suisse en 1937, le marchand d’armes Emil Bührle (1890-1956) a fait fortune pendant la Seconde Guerre mondiale en vendant des armes aux alliés mais aussi à l’Allemagne hitlérienne. Un temps l’homme le plus riche de Suisse, il a pu constituer une collection d’art dont il a dû restituer ou racheter certaines œuvres en raison de leur provenance suspecte : volées par les nazis ou vendues dans l’urgence par leurs propriétaires pour fuir l’Allemagne nazie.

Vue d’œuvres de Miriam Cahn exposées à la Kunsthalle de Kiel, en Allemagne, le 10 mars 2016. (© Christian Charisius/Picture alliance via Getty Images)

“Je souhaite retirer toutes mes œuvres du Kunsthaus de Zurich. Je vais les racheter au prix de vente d’origine“, souligne l’artiste âgée de 72 ans et connue en particulier pour ses personnages aux silhouettes diaphanes et spectrales.

Interrogé par l’AFP, le Kunsthaus n’a pas souhaité faire de commentaire dans l’immédiat. “Madame Cahn n’a pas fait part pour le moment au Kunsthaus de son intention de ‘retirer’ ou ‘racheter’ ses œuvres”, a indiqué Björn Quellenberg, responsable de la communication du musée. “Tant que nous ne serons pas informés directement et personnellement par l’artiste, nous ne ferons pas de commentaire public sur ce sujet”, a-t-il précisé.

Miriam Cahn reproche au musée son “aveuglement historique”. “Acheter de l’art ne blanchit pas. Collectionner de l’art ne rend pas un être humain meilleur”, souligne l’artiste. À l’heure actuelle, le Kunsthaus possède 31 œuvres de Miriam Cahn, et treize autres sont un prêt permanent de l’Association des amis des arts zurichois, a précisé Björn Quellenberg.

Vue d’œuvres de Miriam Cahn exposées à la Kunsthalle de Kiel, en Allemagne, le 10 mars 2016. (© Christian Charisius/Picture alliance via Getty Images)

Le musée achète des œuvres de Miriam Cahn depuis les années 1980, “non seulement parce que nous apprécions son talent artistique, mais aussi ses prises de position critiques” exprimées dans des œuvres comme Soldaten, Frauen + Tiere (“Soldats, femmes + animaux”). Ce tableau de 1995 dénonce la guerre, un thème récurrent chez l’artiste. Le musée montrera aussi jusqu’à la mi-janvier 2022 sa vidéo Das wilde Lieben: weibliche Waffen, Wurfgeschosse, Waffenfälschungen, qui date de 1984.

Un débat de longue date

L’origine de la collection Bührle, gérée par une fondation, fait débat depuis longtemps. La décision de l’exposer a été attaquée, notamment dans un récent ouvrage de l’historien Erich Keller, Das kontaminierte Museum (en français, Le Musée contaminé). L’origine douteuse des tableaux et le manque de contextualisation de la collection font aussi débat. Le musée avait pourtant, sur ordre des autorités, demandé une étude historique à l’université de Zürich.

Il a annoncé récemment la nomination d’un comité d’expert·e·s indépendant·e·s, chargé de vérifier “la pertinence de la méthodologie et de la procédure suivies” par les responsables de la collection. La collection compte des œuvres de Manet, Degas, Cézanne, Monet, Renoir, Gauguin, van Gogh, Picasso et Braque.

Sur un site en ligne, le musée présente également longuement le parcours du marchand d’armes, sans omettre ses liens avec les nazis. Ce jeudi 23 décembre, le musée organise d’ailleurs une conférence sur l’histoire et la provenance de cette collection.

Konbini arts avec AFP.