Le musée du Prado plaide coupable pour son passé misogyne dans une expo pleine de remords

Le musée du Prado plaide coupable pour son passé misogyne dans une expo pleine de remords

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Le musée espagnol du Prado a organisé une exposition qui propose un nouveau regard sur les peintures sexistes de sa collection.

Esclave, sorcière, prostituée ou mère : les figures de la femme dans l’art témoignent d’une misogynie historique à laquelle le musée espagnol du Prado, qui reconnaît y avoir participé, consacre une exposition jusqu’en mars 2021.

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Ouverte début octobre, “Uninvited Guests. Episodes on Women, Ideology and the Visual Arts in Spain”, la première exposition du musée depuis le déconfinement révèle “une idéologie, une propagande de l’État sur la figure féminine”, explique à l’AFP le commissaire Carlos Navarro. Ces “fragments”, de 1833 à 1931, “sur les femmes, l’idéologie et les arts plastiques en Espagne” mettent au jour “la pensée bourgeoise qui veut valider le rôle que la société attribue à la femme”, poursuit-il.

Le Prado, l’une des plus grandes pinacothèques du monde, vieille de deux siècles, veut à cette occasion faire amende honorable. L’institution reconnaît ainsi qu’il existait aussi bien une discrimination envers les artistes féminines que dans la manière de représenter les femmes dans les œuvres achetées par l’État et exposées par le musée à l’époque.

Un visiteur passe devant la peinture “Le Premier Baiser”, de Salvador Viniegra y Lasso de la Vega, lors de l’exposition “Uninvited Guests. Episodes on Women, Ideology and the Visual Arts in Spain (1833-1931)” au musée du Prado, à Madrid, le 23 octobre 2020. (© Gabriel Bouys/AFP)

Un passé machiste

Ce sexisme pictural dans les tableaux peints par des hommes est l’objet d’une première partie de l’exposition, où l’on découvre qu’elles sont rarement protagonistes, reléguées au rang de décors, d’accessoires autour de l’homme, au centre. Quand elles occupent le premier plan, c’est souvent contre leur gré. Ainsi voit-on une bohémienne maltraitée et excommuniée dans un tableau d’Antonio Fillol Granell de 1914, intitulé La Rebelle.

Il y a aussi ces prostituées au regard las, croisées dans plusieurs tableaux, ou cette autre qui supplie la mère maquerelle, pendant qu’en arrière-plan d’une chambre sordide, le client fume sa pipe, dans La Bête humaine, d’Antonio Fillol Granell, datant de 1897. On peut aussi voir des modèles obligées de poser nues, en pleurs, à une époque où “il n’y avait pas de limite d’âge ou de violence dans le nu”, explique Carlos Navarro devant ces fillettes lascives, allongées, qui toisent le public dans Chrysalide, en 1897, et Innocence, en 1899, signés Pedro Sáenz Sáenz. Ou ces insoutenables images d’esclaves enchaînées dans Esclave en vente, de José Jiménez Aranda (1897).

Des employées du musée devant les peintures “Innocence” et “Chrysalide”, de Pedro Sáenz Sáenz, lors de l’exposition “Uninvited Guests. Episodes on Women, Ideology and the Visual Arts in Spain (1833-1931)” au musée du Prado, à Madrid, le 23 octobre 2020. (© Gabriel Bouys/AFP)

D’autres tableaux révèlent une misogynie plus discrète, comme La Superbe, de Baldomero Gili : la peinture de 1908 montre une élégante femme, dont la robe mousseuse se confond avec le plumage d’un paon qui fait la roue derrière elle, coiffée d’un chapeau aussi bleu que l’oiseau. Sous couvert d’un discours galant, il était commun de représenter les femmes avec certains attributs, comme le paon, symbole de la vanité, pour incarner les défauts supposés du genre féminin. Le visiteur pourra aussi voir la scène censurée du film muet Carmen, de 1913 : ces quelques secondes où le visage de Carmen s’embrase de plaisir, lorsqu’un homme lui mordille l’épaule.

Polémique

Le Prado a également exhumé des dizaines d’œuvres peintes par des femmes que l’Histoire n’a pas retenues. Parmi ces tableaux, de nombreuses natures mortes, mais peu de portraits, sujet réservé aux hommes. L’exposition dévoile, selon le commissaire, les errances d’une époque passée à côté de certains chefs-d’œuvre de Rosa Bonheur ou Maria Antonia Bañuelos, par exemple.

Une femme devant la peinture “Falenas”, de Carlos Verger Fioretti, lors de l’exposition “Uninvited Guests. Episodes on Women, Ideology and the Visual Arts in Spain (1833-1931)” au musée du Prado, à Madrid, le 23 octobre 2020. (© Gabriel Bouys/AFP)

Faute d’avoir correspondu aux conventions de l’époque, les œuvres de cette dernière se trouvent toutes à l’étranger aujourd’hui. Avant même son inauguration, cette exposition – marquée par une polémique autour du retrait d’un tableau, faussement attribué à une femme, mais en réalité peint par un homme – a suscité les critiques de certains groupes féministes qui jugent qu’elle n’accorde pas suffisamment de place aux artistes femmes.

Le Réseau de recherche en art et féminisme (RAF) a ainsi dénoncé “la misogynie du XIXe siècle, qui continue à se projeter sur les œuvres de ces artistes”, tandis que l’Observatoire des femmes dans les arts visuels (MAV) a critiqué le choix du titre de l’exposition, y voyant une “occasion ratée” de lutter contre le machisme. Une “polémique mise en œuvre par des historiennes et critiques qui auraient aimé participer au projet”, balaie Carlos Navarro. De notre côté, on peut reprocher au musée de n’avoir point sollicité le regard d’une femme, pour le commissariat de cette exposition.

Une visiteuse passe devant la peinture “Le Dernier Rêve d’une vierge”, de Manuel Villegas Brieva, lors de l’exposition “Uninvited Guests. Episodes on Women, Ideology and the Visual Arts in Spain (1833-1931)” au musée du Prado, à Madrid, le 23 octobre 2020. (© Gabriel Bouys/AFP)

Konbini arts avec AFP.