Les artistes femmes et leur invisibilisation abordées dans plusieurs expositions à Paris

Les artistes femmes et leur invisibilisation abordées dans plusieurs expositions à Paris

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© Henry Groskinsky/Lige Inc./Life

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Par Donnia Ghezlane-Lala

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Focus sur trois expositions qui ont lieu simultanément à Paris et qui mettent en avant des profils féminins oubliés.

Longtemps, les artistes femmes ont été “invisibilisées”, mais aujourd’hui elles sont à l’honneur de trois expositions simultanées à Paris. “Femmes peintres, naissance d’un combat, 1780-1830” au musée du Luxembourg, “Elles font l’abstraction” sur les peintres femmes au XXe siècle au Centre Pompidou, et enfin “Natures mortes”, carte blanche à la plasticienne allemande Anne Imhof au Palais de Tokyo.

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“La conjonction des trois expositions sur trois générations d’artistes femmes est un signe des temps : preuve qu’une génération d’institutions, de commissaires, d’historiens d’art et de visiteurs reconnaissent qu’un pan de l’histoire de l’art a été oublié et qu’il est nécessaire de la réécrire”, analyse pour l’AFP l’historienne de l’art Camille Morineau, créatrice du site AWARE de promotion des artistes femmes.

Photographie de Lynda Benglis en pleine création, à l’origine publiée dans le magazine “Life”, 1970. (© Henry Groskinsky/Lige Inc.)

Au mur de l’exposition “Femmes peintres, naissance d’un combat, 1780/1830”, on peut lire cette lamentation de l’abbé de Fontenay, intellectuel en vue au XVIIIe siècle : “Cette nouvelle manie de se faire femme peintre !” L’exposition fait ressortir de l’oubli ces artistes qui ont été exposées aux salons, ont formé des élèves et suivi des cours de grands maîtres.

La commissaire Martine Lacas explique les raisons de l’effacement de ces artistes talentueuses jusqu’alors : “L’interdiction de pratiquer le nu et donc la peinture d’histoire, leur niveau moindre de formation, le numerus clausus à l’Académie royale, la vocation matrimoniale, maternelle et domestique, la limitation de leur pratique à des genres mineurs.”

Adrienne-Marie-Louise Grandpierre-Deverzy, “L’Atelier d’Abel de Pujol”, 1822, huile sur toile, France, Paris. (© Musée Marmottan Monet, Paris/Bridgeman Images)

C’est donc bien avant la Révolution que “l’entrée des femmes dans l’atelier va remplacer la transmission dans l’atelier familial. Et elles ne se limitent pas au travail de copie”, relève le directeur du musée, François Grolleau. “La fin du XVIIIe et le début XIXe ont été une de ces parenthèses enchantées où les créatrices avaient le vent en poupe”, confirme Camille Morineau.

Puis les monstres sacrés comme David ou Girodet écrasent tout autour d’eux, reléguant dans l’oubli ces artistes. Paradoxe : alors qu’un tableau montre l’atelier du peintre néoclassique Abel de Pujol rempli de peintres femmes, seulement six femmes dans une foule d’hommes figurent sur un tableau de François-Joseph Heim, immortalisant une remise de prix par Charles X au Salon de 1824.

Adélaïde Labille-Guiard, “Autoportrait avec deux élèves”, Marie-Gabrielle Capet et Marie-Marguerite Carreaux de Rosemond, 1785, huile sur toile, New York. (© The Metropolitan Museum of Art)

Arbre généalogique

L’exposition “Elles font l’abstraction” à Beaubourg propose un parcours chronologique au XXe siècle des artistes femmes (plasticiennes, danseuses, photographes, réalisatrices…) sans pour autant délivrer un message féministe. L’exposition montre l’extrême diversité des inspirations de 110 artistes.

Certains tableaux pourraient être signés Vasarely, Mondrian… Pourtant, l’effacement des femmes persiste, subtilement. Un arbre généalogique, “l’arbre de l’art moderne” de Miguel Covarrubias de 1933, est significatif : il déploie toutes les branches de l’impressionnisme, avec des feuilles désignant… une trentaine d’hommes.

En 1942, le peintre américain Hans Hofmann écrira à son élève Lee Krasner ce compliment sexiste : “Cette peinture est tellement réussie qu’on ne la croirait pas due à une femme.” L’architecte allemand Walter Gropius préconise l’égalité hommes-femmes dans son mouvement Bauhaus, mais elles sont reléguées à des activités secondaires comme le tissage.

Eliza Douglas durant les répétitions d’Anne Imhof, “Natures Mortes”, 2021
. (© Nadine Fraczkowski/Palais de Tokyo, Paris)

Les raisons de l’effacement ne sont pas forcément la discrimination, certaines artistes voulant rester discrètes et dans l’ombre de leur époux célèbre. Au Palais de Tokyo, c’est tout l’espace de béton mis à nu qui est livré à l’œuvre radicale de la plasticienne allemande Anne Imhof.

Lion d’or 2017 pour son œuvre Faust (“Poing”) à Venise, elle fait participer une trentaine d’artistes à son installation qui ressemble à un corps souffrant de toutes les agressions du monde. Son exposition se veut un cri de rage contre la société de consommation. “Le beau geste d’Anne Imhof prouve qu’aujourd’hui les jeunes artistes femmes peuvent avoir une puissance et une reconnaissance égale aux hommes”, analyse Camille Morineau.

“Femmes peintres, naissance d’un combat, 1780-1830”, une exposition à voir au musée du Luxembourg, jusqu’au 4 juillet 2021. “Elles font l’abstraction”, à visiter au Centre Pompidou (Paris) jusqu’au 23 août 2021. “Natures mortes”, une carte blanche à Anne Imhof visible au Palais de Tokyo, jusqu’au 24 octobre 2021.