Les œuvres détruites par l’État islamique ressuscitées par des experts à Mossoul

Les œuvres détruites par l’État islamique ressuscitées par des experts à Mossoul

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© Zaid Al-Obeidi/AFP

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Par Lise Lanot

Publié le

Une restauration minutieuse réalisée avec l’aide du Louvre qui ouvrira sur une exposition en ligne.

C’est un travail d’orfèvre. Au musée de Mossoul encore endommagé, les Irakien·ne·s, épaulé·e·s par des restaurateurs et restauratrices français·es, trient des centaines de pierres : des fragments de vestiges antiques de plus de 2 500 ans, détruits par les djihadistes, à reconstituer.

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Un lion ailé du site de Nimrod, joyau de l’empire assyrien, deux imposants “lamassu”, fabuleux taureaux ailés, et une base de trône du roi Assurnasirpal II. Pulvérisées par le groupe État islamique, ces pièces du premier millénaire avant notre ère sont en cours de restauration, grâce à des financements internationaux et une expertise fournie par le Louvre de Paris.

Cette photo, prise le 14 décembre 2021, montre une vue d’un fragment d’une statue d’un “lamassu” mésopotamien, une créature à tête humaine et corps de taureau ailé. La statue est en train d’être ré-assemblée au musée de Mossoul par des expert·e·s irakien·ne·s et français·es. (© Zaid Al-Obeidi/AFP)

Au rez-de-chaussée du musée de Mossoul, les barres de fer tordues des fondations s’échappent d’un trou encore béant dans le dallage. Dans les différentes salles, des pierres de toute taille sont disséminées sur des palettes. Les expert·e·s ont commencé à séparer les antiquités les unes des autres.

Sur certaines pierres imposantes, on reconnaît des pattes. Plus loin, ce sont les restes des ailes. D’autres pierres affichent des inscriptions en alphabet cunéiforme. Pas plus gros que le poing, les fragments les plus petits s’alignent sur des tables. “Nous avons cinq œuvres importantes dans le musée, il faut séparer tous les fragments”, explique Daniel Ibled, un des restaurateurs français missionnés par le Louvre. “C’est comme un puzzle, vous essayez de retrouver les morceaux qui racontent la même histoire. Petit à petit, vous arrivez à recréer des ensembles”, ajoute-t-il.

Cette photo, prise le 14 décembre 2021, montre une vue d’un fragment d’une statue d’un “lamassu” mésopotamien, une créature à tête humaine et corps de taureau ailé. La statue est en train d’être ré-assemblée au musée de Mossoul par des expert·e·s irakien·ne·s et français·es. (© Zaid Al-Obeidi/AFP)

Après trois premières missions en juin, septembre et décembre 2021, sept expert·e·s français·es se relayeront pour des visites périodiques à Mossoul, venant assister et guider les restaurations menées avec près d’une dizaine d’employé·e·s du musée.

“Plus de 850 morceaux”

La base de trône en pierre, couverte d’écritures cunéiformes, semble quasi reconstituée. Certains fragments tiennent ensemble avec des élastiques ou des petits cerceaux métalliques. “Là, c’est l’épicentre de l’explosion”, lance un expert irakien, désignant un trou béant dans un coin de l’œuvre.

Mis en déroute en 2017, l’EI était entré à Mossoul en 2014, imposant son règne de la terreur sur un tiers de l’Irak. Les djihadistes avaient ravagé à coups de masses et au marteau-piqueur des statues antiques et des trésors pré-islamiques du musée, mettant en scène cet acharnement dans une vidéo diffusée en février 2015.

Un expert du musée de Mossoul essaie d’assembler les fragments brisés d’une œuvre présentant des inscriptions cunéiformes, le 14 décembre 2021. (© Zaid Al-Obeidi/AFP)

Les pièces les plus volumineuses, difficilement transportables, ont été détruites pour le compte de la propagande. Les vestiges les plus petits ont été revendus au marché noir dans le monde entier. “La base de trône a été pulvérisée en plus de 850 morceaux. Nous en avons rassemblé les deux tiers”, explique à l’AFP Choueib Firas Ibrahim, fonctionnaire du musée, diplômé en études sumériennes. Son savoir est précieux pour les reconstitutions.

“Nous lisons les inscriptions, et sur cette base nous arrivons à remettre les pièces à leur place”, confirme son collègue, Taha Yassin. Les choses se compliquent toutefois : “Les fragments internes n’ont pas de surfaces plates ou d’inscriptions, c’est le plus difficile”, ajoute-t-il.

Des experts du musée de Mossoul essaient d’assembler les fragments brisés d’une œuvre présentant des inscriptions cunéiformes, le 14 décembre 2021. (© Zaid Al-Obeidi/AFP)

“Ressusciter les œuvres”

Après des interventions d’urgence lancées en 2018 et les retards entraînés par la pandémie, le directeur du musée, Zaid Ghazi Saadallah, espère terminer la restauration de son institution dans un délai de cinq ans. Naguère, son musée renfermait plus d’une centaine de pièces. “La plupart ont été détruites ou subtilisées”, déplore-t-il.

Sur certains murs, des feuilles A4 identifient les vestiges disparus : “Il manque le mihrab de la mosquée Al-Rahmani en pierre d’albâtre”, en allusion à ces niches murales indiquant la direction de La Mecque. L’Irak souffre depuis des décennies du pillage de ses antiquités, notamment après l’invasion américaine de 2003 et l’arrivée des djihadistes. Mais le rapatriement de ces œuvres est une priorité du gouvernement actuel. Le projet à Mossoul est financé par l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflits.

Un expert du musée de Mossoul prend des notes en analysant des fragments à reconstituer, le 14 décembre 2021. (© Zaid Al-Obeidi/AFP)

Outre le Louvre, il implique la Smithsonian Institution, qui fournit des formations aux équipes du musée, et le World Monuments Fund, chargé de la restauration du bâtiment. Au total, le Louvre mobilise une vingtaine de personnes parmi lesquelles des spécialistes “pour le bois et pour le métal”, explique Ariane Thomas, directrice du département des Antiquités orientales.

Une fois restaurées, les œuvres seront dévoilées au public dans le cadre d’une exposition en ligne, ajoute-t-elle. Et de conclure : “Quand on a dit qu’avec du temps, de l’argent, du savoir-faire, on pouvait ressusciter les œuvres les plus endommagées, ça se démontre. Des œuvres qui étaient complètement détruites commencent à reprendre forme.”

Konbini arts avec AFP