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Quand Frida Kahlo pestait contre la scène artistique parisienne dans une lettre au vitriol

Quand Frida Kahlo pestait contre la scène artistique parisienne dans une lettre au vitriol

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© Bettmann/Getty Images

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

"Ils vivent comme des parasites. Des merdes, rien que des merdes, c’est tout ce qu’ils sont."

Ce qui nous vient à l’esprit quand on pense à la scène artistique parisienne, ce sont les beaux cafés, les grand·e·s artistes, clope au bec, qui se côtoyaient lors de débats et salons d’art… Mais ce n’était pas tout à fait ça, et cette scène était bien plus méprisante et “pourrie” qu’on ne le pensait ; preuve à l’appui avec une lettre acide écrite par Frida Kahlo, datée du 16 février 1939.

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Adressée à son ami le photographe Nickolas Muray, cette lettre a été envoyée par la peintre mexicaine suite à son séjour à Paris où elle tentait d’exposer ses œuvres. Seul problème : son soi-disant ami André Breton ne l’aidait pas comme prévu. Elle a finalement trouvé l’aide nécessaire pour monter son exposition auprès de Marcel Duchamp, “un peintre merveilleux, qui est le seul à avoir les pieds sur terre”.

“Frida Kahlo, Paris, France, lettre à Nickolas Muray, New York, 16 février 1939. Correspondance de Nickolas Muray, 1910-1992”. (© Archives of American Art, Smithsonian Institution)

La lettre détaille que Duchamp lui a donc donné le contact de la galerie “Pierre Colle” où elle a pu exposer. Comme un parasite, Breton s’est greffé à l’expo car il voulait présenter des “objets populaires qu’il a achetés sur des marchés mexicains” : “Que des déchets, tu y crois ? […] J’ai dû prêter 200 billets à Breton pour la restauration [d’une peinture du XIXe siècle] car il n’avait pas un sou. […] [Diego] était furieux […] mais il me reste encore assez d’argent pour vivre ici jusqu’à début mars.”

La grande peintre raconte également que l’associé de Pierre Colle (“ce bâtard et fils de pute”) a jugé que seules deux de ses œuvres méritaient d’être exposées car le reste était trop “choquant” pour le public. “J’aurais pu tuer cet homme et le manger après.”

“Frida Kahlo, Paris, France, lettre à Nickolas Muray, New York, 16 février 1939. Correspondance de Nickolas Muray, 1910-1992”. (© Archives of American Art, Smithsonian Institution)

“Ces fils de putes tarés”

Frida Kahlo est hospitalisée à Paris à cause d’une bactérie intestinale, quand elle rédige ces lignes. Elle narre que l’idée de retourner toute seule à son hôtel (situé place de Pyramides) l’angoisse et que la femme de Marcel Duchamp lui a gentiment proposé de l’accueillir chez elle quelque temps.

Elle explique que la lettre de Muray lui a fait chaud au cœur, qu’elle l’a fait “pleurer” et qu’elle n’a rien raconté de son séjour parisien à son mari Diego Rivera : “Cela ne sert à rien de l’inquiéter”, écrit-elle.

“Frida Kahlo, Paris, France, lettre à Nickolas Muray, New York, 16 février 1939. Correspondance de Nickolas Muray, 1910-1992”. (© Archives of American Art, Smithsonian Institution)

Cette lettre vient donc après ces péripéties artistiques et le mépris manifeste de la bande d’artistes surréalistes de Breton. Et l’artiste n’y va pas de main morte pour qualifier “ces fils de putes tarés”. Voici quelques extraits traduits d’une lettre disponible intégralement en ligne (en langue anglaise).

“J’ai décidé de tout envoyer au diable et de me casser de ce Paris pourri avant de devenir folle. Tu n’as aucune idée du genre de salauds que sont ces gens. Ils me font vomir. Ils sont tellement ‘intellectuels’ et pourris de l’intérieur que je ne peux plus les supporter. C’est vraiment trop pour moi. Je préfère m’asseoir par terre au marché de Toluca pour vendre des tortillas que d’avoir affaire avec ces chiennes ‘artistiques’ de Paris.

Ils s’assoient pendant des heures dans des ‘cafés’ pour réchauffer leurs précieuses fesses, et parlent sans arrêt de ‘culture’, ‘art’, ‘révolution’, et ainsi de suite, se prenant pour les dieux du monde, rêvant d’absurdités, et polluant l’air avec leurs théories, des théories qui ne se réalisent jamais.

Le lendemain matin quand ils se réveillent, ils n’ont rien à manger chez eux car aucun d’entre eux ne travaille. Ils vivent comme des parasites, aux crochets de vieilles peaux pleines aux as qui admirent leur ‘génie’ d’‘artistes’. Des merdes, rien que des merdes, c’est tout ce qu’ils sont. Je n’ai jamais vu Diego ni toi perdre votre temps dans des commérages stupides et des discussions ‘intellectuelles’. C’est pour ça que vous êtes de vrais hommes et non de mauvais ‘artistes’.

C’était édifiant de venir jusqu’ici juste pour voir pourquoi l’Europe est pourrie, comment ces personnes – bonnes à rien – sont la cause des Hitler et Mussolini. Je te jure sur ma vie que je détesterai cet endroit et son peuple tant que je serai en vie. Il y a quelque chose de si faux et irréaliste chez eux.”

“Frida Kahlo, Paris, France, lettre à Nickolas Muray, New York, 16 février 1939. Correspondance de Nickolas Muray, 1910-1992”. (© Archives of American Art, Smithsonian Institution)

“Frida Kahlo, Paris, France, lettre à Nickolas Muray, New York, 16 février 1939. Correspondance de Nickolas Muray, 1910-1992”. (© Archives of American Art, Smithsonian Institution)

“Frida Kahlo, Paris, France, lettre à Nickolas Muray, New York, 16 février 1939. Correspondance de Nickolas Muray, 1910-1992”. (© Archives of American Art, Smithsonian Institution)

“Frida Kahlo, Paris, France, lettre à Nickolas Muray, New York, 16 février 1939. Correspondance de Nickolas Muray, 1910-1992”. (© Archives of American Art, Smithsonian Institution)

“Frida Kahlo, Paris, France, lettre à Nickolas Muray, New York, 16 février 1939. Correspondance de Nickolas Muray, 1910-1992”. (© Archives of American Art, Smithsonian Institution)