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6 séries photo engagées et puissantes qui questionnent les masculinités

6 séries photo engagées et puissantes qui questionnent les masculinités

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© Adi Nes/Ana Mendieta

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Des projets qui repensent le genre et ses constructions, d’Ana Mendieta et sa barbe à la toxicité des fraternités américaines.

Aux Rencontres d’Arles, l’exposition collective “Masculinités” refait peau neuve aux masculinités et à leurs stéréotypes, à travers les projets percutants d’une cinquantaine d’artistes internationaux·les. Des années 1960 à nos jours, l’expo nous repasse le film d’une masculinité socialement codée et sans cesse questionnée.

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Différentes thématiques sont abordées, comme la posture du cow-boy, du soldat ou de l’étudiant, la famille, le couple, la sexualité, l’identité, pour toujours conjuguer ces masculinités au pluriel… Focus sur les projets forts d’Adi Nes, d’Ana Mendieta, d’Anna Fox, d’Andrew Moisey, de Cassils et de Hans Eijkelboom.

Cassils, Cuts: A Traditional Sculpture

Cuts: A Traditional Sculpture: Time Lapse (Front), 2011. (© Cassils)

Dans Cuts, Cassils réinterprète le projet Carving d’Eleanor Antin, qui a photographié quotidiennement son corps maigrissant lors d’un régime de 45 jours. Ici, le performeur transgenre inverse ce procédé de la maigreur en documentant sa transformation et son gain de muscles.

Dans de grandes mosaïques photo, l’artiste canadien s’est immortalisé en noir et blanc à des temps différents afin de suivre l’évolution naturelle de sa prise d’hormones et de ses activités sportives.

Cuts: A Traditional Sculpture: Time Lapse (Left), 2011. (© Cassils)

[Il] utilise son corps comme médium et se soumet à des entraînements physiques intensifs pour montrer que le corps humain est toujours en devenir […] une trame de chair en mutation constante […] En documentant les actes nécessaires à l’acquisition d’un physique exagérément musclé, Cassils révèle à la fois l’artifice et le travail acharné requis par la masculinité”, peut-on lire sur le cartel d’exposition, qui précise que l’artiste a également archivé ses séances de sport et ses régimes d’œufs et de viandes crues pour un suivi efficace.

Le terme “cuts” (“coupes”) renvoie ici au découpage de la temporalité photographique, mais aussi à l’acte chirurgical. Cassils aura gagné dix kilogrammes en 23 semaines. Le bodybuilder fige le stéréotype de l’ultramasculinité traditionnelle en y reprenant ses codes et ses postures. “J’utilise mon corps comme une masse sculpturale pour briser les normes sociales”, exprime l’artiste.

Anna Fox, Les Placards de ma mère et les Mots de mon père

Sans titre, extrait de la série “Les Placards de ma mère et les Mots de mon père”, 2000. (© Anna Fox/courtesy James Hyman Gallery, Londres)

Les photos sont froides et en apparence innocentes : de simples placards mis en regard avec une calligraphie douce et royale. Sauf que, quand on y regarde de plus près, on peut lire une violence insoutenable dans ces citations misogynes aux jambages élégants, dignes de faire-part de mariage.

Dans Les Placards de ma mère et les Mots de mon père, Anna Fox témoigne des abus que son père a fait subir à leur cocon familial bourgeois, et plus particulièrement à son épouse. Un sentiment de claustrophobie se dégage de ces images douces-amères : “Je vais détruire ta mère en mille morceaux avec un couteau à huîtres”, “On devrait la frire à l’huile bouillante”, “Je découperai ton cul et je le servirai en tranches comme du jambon cru”, “Putes bestiales, vaches crasseuses”

Ces immondices écrites nous suffisent à reconstituer leur relation et une histoire de la violence masculine. Le décalage entre les placards bien rangés, la graphie de ces mots et leur sens ne font que rendre l’œuvre de Fox plus puissante et glaçante.

Sans titre, extrait de la série “Les Placards de ma mère et les Mots de mon père”, 2000. (© Anna Fox/courtesy James Hyman Gallery, Londres)

Sans titre, extrait de la série “Les Placards de ma mère et les Mots de mon père”, 2000. (© Anna Fox/courtesy James Hyman Gallery, Londres)

Sans titre, extrait de la série “Les Placards de ma mère et les Mots de mon père”, 2000. (© Anna Fox/courtesy James Hyman Gallery, Londres)

Adi Nes, Soldats

Sans titre, extrait de la série “Soldats”, 1994-2000. (© Adi Nes/Courtesy Praz-Delavallade, Paris et Los Angeles)

“Homoérotique” est le premier mot qui nous vient quand on regarde la série d’Adi Nes sur de jeunes soldats israéliens en service militaire. Mises en scène comme des peintures de la Renaissance mais tirées de sa propre expérience, ces images forment “un lien explicite entre la masculinité hégémonique et la masculinité du combattant juif […] emblème du citoyen modèle” dans la culture israélienne et “révèlent le puissant lien homosocial qui existe entre les soldats”.

Ils fument, ils forment, ils s’ennuient, ils jouent… Sa série Soldats remet en question les rapports de force masculins au sein de l’armée et le stéréotype du militaire. Taillés comme des éphèbes, bouches charnues, regards profonds… Adi Nes joue sur les codes de la photographie gay et queer en apportant de la sensualité, de la vulnérabilité dans un contexte ultraviril. Ils sont habillés pour faire la guerre mais parés pour faire l’amour.

Sans titre, extrait de la série “Soldats”, 1994-2000. (© Adi Nes/Courtesy Praz-Delavallade, Paris et Los Angeles)

Sans titre, extrait de la série “Soldats”, 1994-2000. (© Adi Nes/Courtesy Praz-Delavallade, Paris et Los Angeles)

Sans titre, extrait de la série “Soldats”, 1994-2000. (© Adi Nes/Courtesy Praz-Delavallade, Paris et Los Angeles)

Ana Mendieta, Greffe de poils

Sans titre (Greffe de poils), 1972. (© Ana Mendieta/The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC./Courtesy of Galerie Lelong & Co., Alison Jacques Gallery, Londres/ARS, NY and DACS, Londres 2019)

Dans cette performance, Ana Mendieta décide de prendre possession de ce que la société considère comme étant visiblement masculin : la barbe. La performeuse emprunte quelques poils de visage à son ami Morty Sklar et se les colle sur le visage pour retourner “les classifications binaires de genre” et les “constructions sociales qui organisent et surdéterminent les sexualités”.

L’artiste cubaine souhaite explorer ici l’hybridité du genre pour ne faire de la pilosité faciale qu’un artifice et construire une identité masculinité surjouée.

Sans titre (Greffe de poils), 1972. (© Ana Mendieta/The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC./Courtesy of Galerie Lelong & Co., Alison Jacques Gallery, Londres/ARS, NY and DACS, Londres 2019)

Sans titre (Greffe de poils), 1972. (© Ana Mendieta/The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC./Courtesy of Galerie Lelong & Co., Alison Jacques Gallery, Londres/ARS, NY and DACS, Londres 2019)

Hans Eijkelboom, L’Homme idéal

L’Homme idéal, 1978. (© Hans Eijkelboom)

L’Homme idéal est une série dans laquelle Hans Eijkelboom se déguise pour s’adapter aux standards de beauté masculins à travers le regard féminin. Grâce à un questionnaire, il a demandé à cent femmes de lui décrire leur homme idéal “du point de vue physique et vestimentaire”. Il a reçu 42 réponses et a choisi les plus “variées”.

L’artiste néerlandais a donc envoyé une photo de lui à ces femmes sélectionnées et leur a demandé de lui indiquer ce qu’elles aimeraient modifier pour coller à leur idéal. Avec l’aide d’une maquilleuse et d’une styliste, il s’est transformé en différents hommes, fluidifiant et sculptant sa masculinité selon le regard de ces femmes de tous âges.

L’Homme idéal, 1978. (© Hans Eijkelboom)

Chaque femme était présente au moment de sa mutation pour valider les éléments mis en place et donner davantage d’informations sur ses attentes ; une fois le déguisement abouti, chacune posait à côté de son homme idéal.

La moustache a le vent en poupe, le cuir et le dandy aussi, les looks Bob Ross et Woodstock amusent. Avec humour, cette série montre que la masculinité est protéiforme et qu’il y a autant de masculinités qu’il y a de regards et de désirs.

L’Homme idéal, 1978. (© Hans Eijkelboom)

Andrew Moisey, La Fraternité américaine

The American Fraternity: An Illustrated Ritual Manual, 2018. (© Andrew Moisey)

Pendant sept ans, Andrew Moisey a documenté les fraternités américaines dans ce qu’elles ont de plus toxique. Sous la forme d’un manuel en cuir relié, son projet présente des photos en noir et blanc de bizutages, de grandes beuveries, d’accolades viriles et de nudité explicite.

Les serments entre garçons sont retranscrits. Un trombinoscope de photos de présidents sortant de ces fraternités est également affiché dans ce guide de la masculinité toxique et sectaire en milieu universitaire. Les hommes sont euphoriques, constamment imbibés d’alcool, les femmes sont objectifiées, souvent nues ou inconscientes sur des tables ou un lit.

Le quotidien de ces boys’ clubs abusifs est capté en de nombreux rituels misogynes et homophobes, laissant transparaître la réelle problématique des fraternités d’aujourd’hui. La Fraternité américaine dresse, en somme, une histoire sombre des origines du pouvoir.

The American Fraternity: An Illustrated Ritual Manual, 2018. (© Andrew Moisey)

The American Fraternity: An Illustrated Ritual Manual, 2018. (© Andrew Moisey)

The American Fraternity: An Illustrated Ritual Manual, 2018. (© Andrew Moisey)

The American Fraternity: An Illustrated Ritual Manual, 2018. (© Andrew Moisey)

The American Fraternity: An Illustrated Ritual Manual, 2018. (© Andrew Moisey)

The American Fraternity: An Illustrated Ritual Manual, 2018. (© Andrew Moisey)

The American Fraternity: An Illustrated Ritual Manual, 2018. (© Andrew Moisey)

L’exposition “Masculinités” est visible à la Mécanique générale, lors des Rencontres photographiques d’Arles, jusqu’au 26 septembre 2021.

Konbini arts, partenaire des Rencontres photographiques d’Arles 2021.