AccueilPop culture

Arles 2018 : “Des sneakers comme Jay-Z”, la série qui interroge les migrants sur leur rapport aux vêtements

Arles 2018 : “Des sneakers comme Jay-Z”, la série qui interroge les migrants sur leur rapport aux vêtements

avatar

Par Lisa Miquet

Publié le

Exposée à Arles jusqu’au 23 septembre, la série Des sneakers comme Jay-Z fait parler les migrants de leur rapport aux vêtements. Une série poignante et nécessaire.

À voir aussi sur Konbini

En novembre 2016, le centre de premier accueil d’Emmaüs Solidarité a ouvert ses portes dans le 18e arrondissement afin de proposer une prise en charge digne aux migrants tout juste arrivés à Paris. Fermé fin mars 2018, le centre a tourné pendant un an et demi grâce au travail de 120 salariés et à l’aide de 500 bénévoles.

Le lieu comprenait 400 places d’hébergement d’urgence, un pôle santé, mais aussi une “boutique” qui permettait — exclusivement aux hommes — de bénéficier de dons de vêtements, allant du slip à la chemise en passant par les pantalons et les chaussures.

Un soir d’hiver, c’est à la boutique que Valérie, bénévole, a rencontré Zaman, un jeune Afghan arrivé en short et en tongs après avoir marché seize mois depuis Kaboul. Face au tas de baskets usagées présenté à boutique, le jeune homme a demandé à Valérie si elle n’avait pas plutôt des paires de chaussures “pas moches”, plus précisément “des sneakers comme celles de Jay-Z”.

Le vêtement comme carte d’identité

C’est à partir de cette discussion qu’est née l’envie de s’intéresser aux rôles des vêtements : qu’est-ce que ça fait de porter des vêtements qui ont appartenu à des inconnus ? Comment s’adapter à la mode d’un nouveau pays ? Quels vêtements faut-il mettre pour s’intégrer et éviter d’être stigmatisé ? Comment ne pas perdre son identité ? En quoi le vêtement protège, au-delà du froid et de la pluie ?

Pour cela, une petite équipe constituée des deux photographes Frédéric Delangle et Ambroise
Tézenas, du vidéaste Sylvain Martin et de trois autres bénévoles s’est rapidement réunie. L’idée était d’aller à la rencontre des personnes qui passaient par la boutique et de comprendre quels étaient leurs rapports aux vêtements. Chacun des participants a choisi une tenue parmi les habits proposés, a pris le temps d’expliquer son choix et de se faire photographier. Il en résulte plus de 50 portraits réalisés à la chambre et tout autant d’interviews.

À travers ces témoignages poignants, on découvre que les vêtements sont souvent la seule chose que les migrants possèdent et, qu’au-delà de les couvrir, ils déterminent aussi leur identité. La série d’images est exposée dans le cadre des Rencontres d’Arles jusqu’au 23 septembre prochain. En attendant, on vous laisse découvrir un aperçu avec cinq témoignages.

Bashir, 20 ans

“J’ai 20 ans. Je viens de Somalie. J’aime ces habits… j’aime m’habiller comme un Américain ! En Somalie, on ne s’habille pas aussi serré, vous savez, on met des habits plus larges. Ma famille n’aimerait pas trop me voir habillé comme ça. Ils trouveraient ça trop près du corps. En France, je suis libre de m’habiller comme je veux.”

Aboubacar, 21 ans

“J’ai 21 ans. Je viens de Guinée-Conakry. Je n’ai plus de vêtements car ce matin, la police a mis du gaz dans ma tente puis l’a lacérée. Je me suis enfui et je n’ai rien retrouvé à mon retour. Là, j’ai choisi un pantalon beige-kaki qui est ma couleur préférée. C’est une couleur unique. Être à la mode, c’est attirer les gens autour de vous et donner une bonne image de vous.

La mode traditionnelle en Guinée est très colorée, avec des couleurs électriques dans les motifs. La chemise n’est pas notre culture. Il y a par exemple les sarouels et les tuniques. Mais la mode traditionnelle en Guinée est plutôt pour les anciens. Faut pas se mentir, je ne suis pas tellement dans les habits traditionnels. Il y a des occasions où il faut porter ça : des fêtes, et ça fait du bien quand même.

Mais ici, nous voulons vivre comme tout le monde. Mon idée, ce n’est pas d’offenser quelqu’un, je suis venu pour chercher à être dans la norme, je ne veux pas de problème. C’est pourquoi j’ai dit que j’avais peur des images.”

Mustafa

“J’ai 24 ans et je viens du Soudan. J’aime beaucoup ce sweat-shirt ‘Romantic’. Le bleu foncé comme ça est ma couleur préférée. À Paris, la mode est beaucoup plus belle qu’au Soudan.”

Ahmad, 19 ans

“J’ai 19 ans. Je viens du Soudan. J’ai choisi ce T-shirt car il est très beau et en plus, c’est ma taille. Il me va comme si c’était le mien. Il va bien avec mon turban. Au Soudan, dans ma région, tous les hommes portent un turban sur la tête. Ce n’est pas toujours le cas dans d’autres régions. Celui-ci, je l’ai eu à Istanbul. Je peux porter du noir ou du bleu, mais je préfère ne pas porter de rouge, c’est moche.”

Mohammed, 18 ans

“J’ai 18 ans et je suis Afghan. J’ai choisi ce sweat car dehors il fait froid. Il y a une capuche pour se protéger. Et c’est joli aussi. C’est assorti à ma robe, vous voyez. Ma robe, elle, vient de mon pays. J’ai passé deux ans en Belgique et ma maman a donné cette robe bleue à un ami qui m’a retrouvé en Belgique.

J’ai aussi un jean et un pull, mais ils sont sales, là. Je n’ai que deux tenues. Ma robe et mon jean européen. Quand je mets cette tenue à Paris, je n’aime pas car on me regarde, tout le monde me regarde, ils pensent que je suis un terroriste. Je ne veux pas qu’on me regarde. Une fille, une fois, dans la rue, m’a dit : ‘C’est très joli, cette robe.’ Je lui ai dit : ‘Merci.'”

“Des sneakers comme Jay-Z, portraits et paroles d’exilés”, exposition d’Ambroise Tézenas et Frédéric Delangle, à voir aux Rencontres photographiques d’Arles jusqu’au 23 septembre 2018.

Pour connaître les actions de l’association, adhérer, devenir bénévole, faire un don ou devenir partenaire, rendez-vous sur le site d’Emmaüs.