Au Cambodge, des images retouchées de victimes du génocide provoquent l’indignation

Au Cambodge, des images retouchées de victimes du génocide provoquent l’indignation

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© Netflix/Bophana Production

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Un retoucheur irlandais a ajouté des sourires aux visages de victimes du génocide perpétré par les Khmers rouges.

Des Cambodgien·ne·s qui ont perdu des proches dans le génocide perpétré par les Khmers rouges se sont indigné·e·s, ce dimanche 11 avril, du choix fait par un artiste irlandais d’ajouter des sourires à des photos en noir et blanc de victimes du régime sanguinaire.

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Installée le 17 avril 1975, la dictature maoïste des Khmers Rouges, dirigée par Pol Pot, est tombée le 7 janvier 1979 sous les chars du Vietnam socialiste. Entre-temps, quelque deux millions de personnes, soit environ un quart de la population, sont mortes d’épuisement, de famine, de maladie ou à la suite de tortures et d’exécutions au “Kampuchéa démocratique”.

Le régime avait photographié des milliers de ses victimes dont celles envoyées à Tuol Sleng, à S-21, la prison centrale de Phnom Penh où 15 000 personnes ont été torturées avant d’être exécutées par les Khmers rouges. Un certain Matt Loughrey a colorisé des photos anciennes de victimes dans le cadre d’un projet personnel. Sa décision d’ajouter des sourires sur les visages de certaines victimes qui ont été assassinées a provoqué l’indignation.

Une sélection des photos accompagnée d’un entretien avec Matt Loughrey a été publiée ce week-end sur le site américain Vice News, déclenchant un torrent de critiques au Cambodge et sur les réseaux sociaux. “Je suis en contact avec le musée pour rendre ces photos accessibles à tout un chacun”, affirme l’artiste dans cette interview à Vice, évoquant le musée du génocide aujourd’hui installé sur le site de la prison. Selon lui, la réception au projet a été jusque-là “excellente”.

“Insulte aux victimes”

L’article semblait retiré du site dimanche après-midi. Il avait auparavant été accompagné d’un avertissement par Vice, dans lequel il est dit : “Il nous a été signalé que les portraits restaurés publiés dans cet article ont été modifiés au-delà d’une colorisation. Nous sommes en train de revoir l’article et envisageons des actions correctives.” L’AFP a contacté Matt Loughrey pour obtenir une réaction.

Norng Chan Phal, un survivant de S-21 âgé de 52 ans et qui a perdu ses parents dans cette prison, a qualifié le projet d’“insulte aux victimes des Khmers rouges”. “Je condamne fermement ces photographies colorisées parce qu’aucune des victimes à S-21 n’a jamais été heureuse, a-t-il déclaré à l’AFP. Nous, les victimes qui entrions à S-21, n’avions jamais eu l’occasion de sourire. Je ne suis favorable à aucune modification des photographies. Nous souffrions.”

Pour le ministère cambodgien de la Culture, la manipulation des images effectuée par Matt Loughrey “affecte gravement la dignité des victimes” et la réalité de l’histoire du Cambodge. Le projet viole en outre les droits du Musée du génocide Tuol Sleng, propriétaire et gardien des photographies, ajoute dans un communiqué le ministère qui a demandé à Matt Loughrey et Vice de retirer les images photoshopées sous peine d’une action devant la justice (tant nationale qu’internationale).

Le député Hun Many, fils cadet du Premier ministre cambodgien Hun Sen, s’est dit choqué, écrivant sur Facebook que “cela montre clairement que ces individus, notamment étrangers, ne comprennent pas la douloureuse tragédie du Cambodge et en particulier des victimes qui ont souffert de la torture et des assassinats à la prison de Tuol Sleng”.

Édit du 23/04/2021 : Suite à cette polémique, 26 artistes de treize pays différents se sont réuni·e·s afin de créer “un label du coloriste éthique”. Le Colorizer’s Code of Conduct est “la première initiative de ce genre”, rapporte le coloriste Corentin Sauvage, co-signataire du projet instigué par Jordan J. Lloyd, coloriste également.

Composé de huit points, ce label engage entre autres les signataires “à préciser le contexte autant que possible, à donner les crédits aux auteurs et à ne pas détourner les images [travaillées] à des fins malveillantes”“À l’ère des fakes news que l’on traverse”, poursuit le photographe, ce label éthique est d’importance, afin d’assurer le respect et l’intégrité des personnes photographiées ainsi que la véracité des faits colorisés.

Avec AFP.