Fête, bling-bling et opulence : l’élite grecque des années 2000 dans l’œil de Spyros Staveris

Fête, bling-bling et opulence : l’élite grecque des années 2000 dans l’œil de Spyros Staveris

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Par Joséphine Faisant

Publié le

L’euphorie boursière des années 2000, avant le krach de 2008, vient se refléter dans la satire photographique High Society, par le photographe grec Spyros Staveris. Il a réussi à documenter la frénésie mondaine athénienne à son apogée en sillonnant les rendez-vous de ce milieu adepte d’extravagances en tout genre.

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Les photos de la série High Society sont riches, dans tous les sens du terme. Tout est dans l’outrance : les couleurs, les mouvements ainsi que les expressions sur les visages de ces Athéniens fortunés en quête d’hédonisme moderne et exubérant. C’est en quelque sorte la réinterprétation des festivités dionysiaques par la classe moyenne et supérieure d’Athènes dans les années 2000.

Le photographe Spyros Staveris fait un parallèle entre la description que faisait Balzac de l’Opéra de Paris et ce milieu doré de la Grèce des années 2000. Pour lui, on retrouve les mêmes composantes, à savoir l’ambition bouillonnante d’ascension sociale, les intrigues nourries de jalousies, d’alliances, d’intérêts croisés et de concurrences d’ego. Ainsi, ses photos donnent à voir un véritable théâtre photographique, où l’outrance est reine. Les tenues sont encombrantes (et encombrées), les yeux sont libidineux, les peaux luisantes, les sourires démesurés : la sobriété semble avoir bel et bien disparu.

L’idée d’une rubrique mondaine décalée dans un magazine grec

C’est avec son ami et collègue Stathis Tsagarousianos que Spyros s’est retrouvé dans un nouveau projet, celui du magazine Symbol. Il s’agissait d’une parution hebdomadaire, le supplément week-end du journal économique Ependytis, dont les ventes avaient été propulsées par la folie boursière de l’époque. Les manifestations mondaines gagnaient en intensité et sont devenues un véritable “fait de société” contemporain. Les deux amis se sont alors demandé comment intégrer et traiter ce phénomène.

C’est en suivant les vieilles ficelles du reportage classique que Spyros Staveris décide d’aborder le milieu. N’ayant aucune affection ni de près ni de loin pour cette société si particulière, il a pu porter un regard extérieur et capturer des moments loufoques. La force des images de Spyros réside dans la subtilité des détails et une maîtrise de l’instant magique.

La délicatesse de son regard aiguisé est alors contrastée par l’exubérance générale de l’environnement photographié, et cela donne encore plus d’écho au propos. En effet, on voit bien que l’image est réelle, que l’instant a bel et bien existé, et cela rend l’excentricité de la scène encore plus risible. Toutefois, Spyros Staveris se réclame d’un héritage cinématographique et cela se ressent, on ne bascule jamais dans le cliché grossier sans fond. Comme il nous le confie : “Je ne voulais pas tomber dans la facilité et surcharger la caricature, ce qui me paraissait trop banal et vain.”

Shooter au Minolta : un choix malin

Ces reportages mondains ont été documentés à l’aide d’un appareil à l’usage particulier : le Minolta 6×6 qui s’utilise en se penchant au-dessus de l’appareil et qui offre des clichés carrés. C’était une machine assez rare. Les gens qu’il croisait ne connaissaient pas son fonctionnement et pensaient que l’objectif visait le sol et les pieds.

Ainsi, les protagonistes de ces réceptions à la mode s’en amusaient et se laissaient photographier sans retenue. Ce qui, comme nous l’explique Spyros Staveris, lui a permis pendant toute une longue période de passer tout à fait inaperçu et photographier tout ce qu’il voyait lors de ces festivités opulentes.

La retouche des photos effectuée par le directeur du magazine à l’époque était plutôt osée et même souvent féroce”, ajoute-t-il. Les photographies étaient publiées en pleine page, un traitement provocateur mais qui a contribué grandement au succès de la rubrique.

Portrait d’une élite assoiffée d’ascension sociale

Les personnages qui se donnent en spectacle sous l’objectif de Spyros Staveris sont comme les acteurs d’une comédie burlesque sur le thème de l’ascension sociale. Les décors et les extravagances vestimentaires sont l’illustration de cette course déchaînée dont le luxe à outrance est le carburant.

Le photographe raconte qu’une des réceptions les plus caractéristiques de cette époque furieuse fut le bal masqué vénitien d’un grand bijoutier. Les invités ont fait venir directement de Venise des costumes et masques. L’hôte avait fait installer un décor vénitien démesuré avec des canaux et gondoles.

Même égratigné, moqué, on tenait absolument à voir sa photo dans les pages du magazine.” Ainsi, même lorsqu’ils étaient reconnus, les protagonistes ne fuyaient pas son objectif ; ils étaient attirés par l’étincelle de notoriété qu’il pouvait leur amener. Spyros Staveris a pu ainsi intégrer les salons et défilés mondains pendant presque deux ans en photographiant les pépites que lui offrait cette élite fiévreuse en mal de reconnaissance. Toutefois, comme tout microcosme, il a fini par devenir trop redondant pour le photographe qui s’est lassé de voir les mêmes visages.

Une série à rebours des images habituelles de la Grèce

Depuis quelques années, la Grèce est associée aux files d’attente aux distributeurs des banques, aux manifestations violentes ou alors aux photos ensoleillées de poulpes qui se dessèchent devant une mer turquoise. Deux visions extrêmes qui font partie de la réalité du pays, mais qui sont toutefois bien réductrices. Les images de Spyros Staveris apportent un angle de vue insolite sur la folie passagère mondaine des Athéniens.

On entend d’Athènes qu’elle est soit le berceau de la philosophie, soit le laboratoire de la crise européenne. La série High Society, c’est ni l’un ni l’autre, mais plutôt “Athènes, lieu des mille excès”. Un registre satirique qui fait du bien, d’autant plus combiné avec l’esthétique des années 2000 qui se prête bien au thème de l’extravagance.

Aujourd’hui, époque où le climat économique est complètement inverse en Grèce, ces photos prennent certainement une dimension cynique plus corrosive qu’à l’époque.