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Des photojournalistes “empêchés” de documenter l’évacuation de migrants en France

Des photojournalistes “empêchés” de documenter l’évacuation de migrants en France

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© ArisSu/Getty Images

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Par Konbini arts

Publié le

Deux journalistes se sont plaints devant la justice d’être "empêchés de travailler".

Deux journalistes français ont dénoncé lundi devant le tribunal administratif de Lille l’“entrave” à la liberté d’informer que représente selon eux l’impossibilité d’accéder à des évacuations de camps de migrant·e·s sur le littoral du Nord et du Pas-de-Calais.

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Ils demandent au tribunal d’enjoindre aux préfectures du Nord et du Pas-de-Calais de les “autoriser à accéder aux différents sites” d’évacuation pour y réaliser leurs reportages. La décision est attendue au plus tard mardi. “On est avant tout là pour pouvoir faire notre travail à l’instant T, on demande simplement à pouvoir retourner sur le terrain et couvrir ce qui s’y passe”, a expliqué avant l’audience le journaliste rédacteur indépendant Simon Hamy, à l’origine avec son collègue photojournaliste travaillant sous le pseudonyme de Louis Witter de ce recours en référé-liberté.

Les deux journalistes, de 30 et 25 ans, dénoncent une “atteinte grave” et illégale à la liberté d’informer, après s’être vu “opposer un refus de documenter” des opérations d’évacuation de migrant·e·s à cinq reprises, mardi et mercredi derniers, à Grande-Synthe, Coquelles et en plusieurs lieux à Calais.

Une main sur l’objectif d’un appareil photo et l’utilisation d’un projecteur éblouissant

Outre l’interdiction de pénétrer dans un vaste périmètre de sécurité, les journalistes ont décrit une main posée sur l’objectif d’un appareil photo et l’utilisation d’un projecteur pour les éblouir. “Un périmètre de sécurité, c’est quelque chose de tout à fait classique”, a insisté au nom de la préfecture du Nord Hervé Tourmente, sous-préfet de Dunkerque, assurant que “cela ne choque absolument personne et pas même la presse”.

L’enjeu principal est selon lui d’“éviter tout suraccident”, alors que des engins de chantier circulent dans la zone et que des armes à feu ou blanches peuvent également être présentes. Le sous-préfet de Calais Michel Tournaire a quant à lui indiqué qu’à l’issue de chaque opération était diffusé un communiqué de presse qui “détaillait de manière précise les personnes mises à l’abri”.

Dans ce dossier, le syndicat national des journalistes (SNJ) a déposé un mémoire en intervention volontaire pour appuyer les deux journalistes, estimant que les refus auxquels ils se sont heurtés constituaient “indéniablement une atteinte à la liberté de la presse”.

À l’audience, leur avocat, Maître Henry-François Cattoir, a souligné que si des articles avaient été publiés sur ces expulsions, quasi quotidiennes dans le Calaisis, “l’exercice de la liberté de la presse [devait] être total”. “Faudrait-il une accréditation comme l’a suggéré M. Darmanin pour couvrir les opérations de police ?” a-t-il fait mine de s’interroger.

“Les deux seuls pays où j’ai été empêché d’approcher des démantèlements de camps, c’est la Hongrie de Viktor Orban et le Maroc de Mohammed VI”, a pointé le photographe Louis Witter, qui souhaitait lors de son passage sur le littoral calaisien travailler sur “le trauma des expulsions matinales” des migrant·e·s.

Sur son compte Twitter, il avait diffusé mardi une série d’images montrant notamment un homme en combinaison lacérant une tente. Des photos prises “en grugeant”. “Il s’agit de sociétés de nettoyage qui accompagnent les forces de l’ordre […] et dont le rôle est de lacérer les tentes pour éviter leur réutilisation ou d’emmener vers les bennes à ordures d’autres effets personnels de réfugiés”, assure le photographe. “Nous avons des protocoles de récupération des effets personnels” des migrant·e·s et “une convention avec une ressourcerie” pour les tentes, a au contraire indiqué M. Tournaire.

La plainte des journalistes a été rejetée

La plainte de Louis Witter et Simon Hamy a été rejetée, mardi 5 janvier, par le tribunal administratif de Lille. Leurs avocats dénoncent un “blanc-seing” donné à l’opacité. Saisi d’un recours en référé-liberté par ces journalistes indépendants, soutenus par le SNJ, le tribunal a estimé que l’urgence à agir n’était pas caractérisée, les évacuations de campements étant “terminées”.

La décision, dont l’AFP a consulté une copie, souligne que les deux journalistes “ne font état d’aucune nouvelle intervention d’évacuation en cours à la présente date ou à venir, à laquelle ils envisageraient d’assister et qu’au surplus, il est indiqué en défense que les évacuations sont terminées”.

“Cette décision évacue assez intelligemment la question du fond qui aurait pu faire jurisprudence”, a réagi Witter, auprès de l’AFP. Pour les avocats des journalistes et du SNJ, Maîtres William Bourdon et Vincent Brengarth, le tribunal a “trouvé une parade parce qu’il y avait manifestement un embarras sur le fond du dossier”.

Déplorant “un blanc-seing donné à une situation d’opacité”, ils jugent “la déception d’autant plus forte dans une période marquée par une dérive autoritaire et une constante augmentation du pouvoir des forces de l’ordre, où l’on attend du juge qu’il joue le rôle de garde-fou”.

Les avocats, pour qui ce recours serait une première en France, disent réfléchir à un recours devant le Conseil d’État. Interrogé par la présidente sur la probabilité de nouvelles évacuations, le sous-préfet de Calais Michel Tournaire avait répondu que des opérations en flagrance pour occupation illicite avaient lieu “toutes les 48 heures”.

Médecins du monde a organisé en ligne une collecte de dons afin d’offrir des tentes aux populations exilées. Pour faire un don, c’est ici.

Avec AFP.