Dhahran, la ville hybride où se mêlent traditions saoudiennes et décors californiens

Dhahran, la ville hybride où se mêlent traditions saoudiennes et décors californiens

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Par Lise Lanot

Publié le

Située à l’est du royaume d’Arabie saoudite, la ville de Dhahran est une mosaïque d’habitudes et de quotidiens saoudiens et américains, que la photographe Ayesha Malik met à l’honneur dans un livre à la fois intime et universel.

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Petite, Ayesha Malik ne voyait pas ce qu’il pouvait y avoir d’étonnant à ce que cohabitent coutumes saoudiennes et américaines. C’est en grandissant que la jeune femme s’est rendu compte du caractère hybride de sa ville natale, notamment à travers les yeux d’étrangers à la ville. Aujourd’hui, la jeune femme loue le mélange qui a lieu à Dhahran et a décidé de lui rendre hommage à travers un livre de photographies, intitulé Aramco: Above the Oil Fields, publié aux éditions Daylight.

L’artiste, diplômée de la prestigieuse école de design Parsons, a grandi au sein d’une communauté résidentielle de la ville de Dhahran, une enclave à l’usage des employés (dont faisait partie son père) de la plus grande compagnie pétrolière du monde, Saudi Aramco. Situé près du consulat américain, “Dhahran Camp” abrite une dizaine de milliers de familles d’employés de la société d’hydrocarbure, saoudiens ou expatriés.

Souvent présentée comme la réplique d’une banlieue américaine, la ville voit s’épanouir autant d’adolescents aux airs de skateurs californiens que de mamans en niqab venues admirer leur progéniture jouer au base-ball ou au football. Sous le soleil hivernal, les voisins parent leurs demeures de décorations de Noël ou sortent leur tapis de prière.

À ceux qui verraient là un fort contraste, Ayesha Malik rétorque d’une simplicité désarmante tout l’opposé d’une telle vision manichéenne : “Pourquoi se mettre dans des catégories et se séparer les uns des autres ? C’est cela le questionnement au cœur de mon ouvrage.” Habituée depuis toujours à ce mélange homogène de cultures, l’artiste raconte ne s’être rendu compte des particularités de sa ville natale qu’après l’avoir quittée :

“J’ai commencé à prendre des images pour le projet vers 2011-2012, au moment où ma famille emballait les souvenirs de toute une vie puisque mon père prenait sa retraite de la compagnie [et devait donc déménager, ndlr].

J’y suis retournée plusieurs fois les années suivantes et je continuais de prendre des photos, mais ça me faisait toujours un peu mal au cœur. C’était bizarre de rentrer ‘à la maison’ mais de ne pas avoir physiquement de maison à cet endroit.”

Une démarche documentaire et personnelle

Au fil des pages de son livre, Ayesha Malik raconte une enclave ni complètement saoudienne, ni complètement américanisée. Elle y retrace son vécu, à l’aide d’images de son enfance, tout en adoptant une approche davantage documentaire, avec des vues aériennes de sa ville ou des instantanés des parcs et quartiers qui composent Dhahran Camp.

Les portraits des personnages présents dans l’ouvrage symbolisent cette gradation du plus intime au plus général, puisque ont été photographiés sa “famille, des amis très proches de la famille, des amis plus ou moins lointains, des connaissances, des gens qu'[elle] connaissait plus jeune mais à qui [elle] ne parlai[t] jamais et des inconnus parfaits”, à la manière d’une quête de découvertes autant pour la photographe que les lecteurs.

La jeune femme parvient à nous faire entrer “chez elle”, sans négliger une approche générale ou éviter les détours plus ou moins personnels que l’art photographique permet aux artistes. Ses souvenirs sont mêlés à des problématiques plus larges, notamment concernant les rapports entre le Moyen-Orient et les États-Unis, et le rôle de l’or noir dans cette relation ambivalente.

Que les images aient été prises par Ayesha Malik lorsqu’elle était enfant, ou plus récemment en tant qu’artiste, celles-ci questionnent une myriade de thèmes plus ou moins universels et personnels. La démarche de l’artiste interroge les stéréotypes et idées préconçues que pourrait avoir le lecteur à l’évocation d’une ville comme Dhahran et met en relief les notions d’identités culturelle et individuelle, ainsi que le passage de l’enfance à l’âge adulte.

En plus du pouvoir émotionnel des images d’archives d’Ayesha Malik et du mélange d’identités et de cultures, l’esthétique de la photographe est particulièrement travaillée et confère au livre une unité artistique poétique. À travers les teintes roses d’une rue au petit matin, les verts des jardins ou les beiges des déserts, Ayesha Malik nous entraîne dans une visite intime de Dhahran, comme à l’intérieur d’un patchwork qu’elle tisse depuis sa plus tendre enfance.

L’ouvrage d’Ayesha Malik, Aramco: Above the Oil Fields, est disponible aux éditions Daylight.