Rencontre : Élise Dervichian a photographié des victimes de viol pendant un an

Rencontre : Élise Dervichian a photographié des victimes de viol pendant un an

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© Élise Dervichian

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Par Apolline Bazin

Publié le

"Culture du viol" : c'est le titre de la série de photos signée par la photographe belge Élise Dervichian.

Le terme de “culture du viol” apparaît d’abord au sein des cercles féministes des États-Unis dans les années 1970. Il désigne l’ensemble des comportements et remarques qui banalisent les violences sexuelles, de la blague lourde à la main baladeuse.

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Alex, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Étudiante en photo à l’école Le Septantecinq à Bruxelles, Élise Dervichian met des visages sur celles qu’on appelle “les victimes de viol”. Un sujet intime et politique pour lequel elle a rencontré trente femmes et recueilli leurs histoires. Poser à visage découvert pour témoigner est un acte de résistance et de courage. L’intention de la photographe est de confronter la société à ses préjugés sur le viol.

Cheese | Comment as-tu découvert le concept de culture du viol ? Est-ce que ça a été ta porte d’entrée dans le féminisme ?

Élise Dervichian | J’ai subi un viol et j’ai commencé la photo il y a trois ans. C’est ce qui m’a initiée au féminisme. Clairement, avant cela, je n’y connaissais rien. Ce mot m’est venu il y a tout pile un an quand j’ai commencé le projet. Même dans le milieu féministe, c’est un mot que l’on n’utilise pas assez. C’est en faisant des recherches que j’ai vraiment compris le concept.

Amélie, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Est-ce que la photographie t’a aidée à mettre de la distance ? Est-ce que c’est un moyen cathartique ?

J’entamais ma troisième année de photo quand j’ai commencé la série. J’ai commencé la photo en ayant subi ce viol, et au début, ça me paraissait impossible de travailler là-dessus parce que j’étais face à des profs masculins. Un de mes buts était de rencontrer des filles comme moi parce que je me sentais très seule dans mon entourage.

Je trouve que les choses avancent très peu sur ce point, il y a peu d’espaces pour se rencontrer entre victimes. La photo m’a poussée vers ces filles. Au début, ça a été comme une thérapie et vers la fin, c’est devenu pesant. Dès que mon projet est sorti en ligne, j’ai proposé mon mail pour continuer la série et d’un coup, j’ai reçu une centaine de témoignages. C’est beaucoup, je vais continuer à le faire mais j’ai besoin d’une pause. Ce que je voulais amener, c’était le côté confrontant que la société nous inflige, de montrer qu’on est là.

Ophélie, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Quels ont été les retours suite à ta première exposition et face à cette série ?

En fin d’année, j’avais un jury et j’ai été exposée. Je me suis retrouvée face à un jury externe d’adultes et j’ai eu des réactions affreuses de cinquantenaires, de la génération de nos parents quoi. Pour eux, c’était horrible que je parle de culture du viol.

J’ai même un juré qui m’a dit que notre génération, après #MeToo et #BalanceTonPorc, n’avait plus aucun filtre et franchement ta manière de communiquer les choses, c’est horrible, ça met toutes les femmes sur le même plateau alors qu’elles ont vécu des choses très différentes.” Je voulais créer un élan de solidarité, montrer qu’on était beaucoup trop à avoir subi ça.

J’avais imaginé un grand poster avec tous les visages et tous les témoignages, pour que les gens n’aient pas le choix que de regarder et lire. Pendant un an, j’ai montré des visages et ce qui a été l’une des plus grosses étapes, c’était de me rajouter, moi-même, dans la série.

Lina, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Y a-t-il des points communs dans ces témoignages ?

Franchement, non. Et c’est ça qui est compliqué dans la reconstruction d’un viol, les histoires sont très différentes. Moi, je me reconnais dans les symptômes qu’on a suite au viol mais dans les histoires, c’est très différent. Ce qui m’a clairement “soulagée”, c’est de me rendre compte qu’on était tellement, que je n’étais pas seule. Je pense que c’est une des premières caractéristiques d’un viol, c’est de se sentir seule après.

Myriam, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Comment as-tu choisi le lieu pour chacune ?

Je voulais qu’il n’y ait pas trop d’éléments personnels, je voulais que ça reste pris sur le vif, et que l’on se concentre uniquement sur la personne. Ça ne rend pas la même chose en publication et en exposition, mais je voulais qu’on se concentre sur l’ensemble. Le lien, c’est le regard entre toutes ces femmes, on voit que ce sont des femmes fortes. Le choix de la lumière, c’est dans la rue pour montrer, encore une fois, que ça arrive à tout le monde.

Agatha, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Louise, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Anna, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Ana, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Alice, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Louise, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Alice, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Lara, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Élise, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)

Louison, “Culture du viol”. (© Élise Dervichian)