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En images : à la rencontre de Shukri, le queer palestinien qui se bat contre les clichés

En images : à la rencontre de Shukri, le queer palestinien qui se bat contre les clichés

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Par Adlan Mansri

Publié le

Shukri Lawrence est Palestinien et queer, et à 19 ans seulement, il a déjà réalisé plusieurs clips pour Brooke Candy et lancé sa propre marque de vêtements.

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Né d’un père Palestinien et d’une mère arménienne, Shukri Lawrence a grandi à Jérusalem-Est, ville où le statut des Palestiniens est différent de celui du reste de la Palestine et des habitants israéliens de la ville sainte. Depuis 1967, les Hiérosolymitains palestiniens ont la citoyenneté Jordanienne, tout en possédant une carte de résident israélienne. Jérusalem-Est est annexé par l’État d’Israël sans que ses habitants arabes ne soient considérés comme des citoyens israéliens. C’est le cas de Shukri.

“On ne peut pas s’exprimer comme on le souhaiterait”

Depuis 2017, il étudie le cinéma à Amman, la capitale jordanienne. Il revient cependant régulièrement dans sa ville natale, où sont restés sa famille et la plupart de ses ami·e·s. C’est avec la distance qu’il a pris conscience de son statut particulier :

“La vie à Jérusalem est très différente de celle à Amman. À Jérusalem nous vivons sous l’occupation, et on ne peut réellement jouir de notre liberté : on ne peut pas vivre notre culture comme on l’entend… On ne peut pas non plus s’exprimer comme on le souhaiterait… Tout ça s’est perdu avec l’occupation.

Amman m’a inspiré pour créer quelque chose de différent pour mon peuple, pour les Palestiniens. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de créer ma marque de vêtements.”

Internet a d’abord permis à Shukri de partager ses idées sur les réseaux sociaux, notamment Instagram. Son combat contre le racisme, contre les clichés et son esthétique singulière attirent à travers le monde.

Notre première rencontre après avoir échangé sur Internet, se tient dans un bar de Jérusalem-Est, le Nordic, en plein mois de Ramadan – l’un des rares bars de la ville sainte ouverts durant cette période de jeûne.

“Je veux montrer qui nous sommes vraiment”

C’est en 2014 qu’il commence à partager son art sur Instagram (@wifirider), un subtil mélange entre orientalisme et cyberpunk. Il n’hésite pas à mélanger l’identité artistique palestinienne avec l’identité virtuelle qu’il s’est appropriée sur Internet.

“Je veux montrer qui nous [les Palestiniens] sommes vraiment à travers mon art, et pas seulement la fausse représentation que les médias ont de nous. J’ai envie qu’on récupère ce qui nous appartient, notre culture et notre liberté, qu’on arrête d’avoir une mauvaise image des Palestiniens.”

Il lance sa marque, tRASHY CLOTHING, en juillet 2017. Trois thèmes qu’il aborde dans ses créations de manière récurrente sont le féminisme, le terrorisme et le narcissisme. Pour chacun de ces thèmes, il essaie d’apporter un regard frais à travers son point de vue de Palestinien queer.

Shukri commence par créer des bootleg (parodies de contregaçons) venus du streetwear pour aborder deux problèmes qui lui tiennent à cœur : les réfugiés syriens et palestiniens ainsi que la culture arabe en elle-même, trop souvent associée au terrorisme.

“Les vêtements bootleg Adidas et Nike ont été dans un sens une sorte d’uniforme pour les réfugiés. Quand mes followers sur Instagram ont vu mes designs, ils m’ont demandé où il était possible de les acheter, ce que je n’avais jamais prévu de faire avant.

Du coup, j’ai pensé à un moyen pour faire don d’une certaine partie du profit que je faisais aux camps de réfugiés afin d’aider concrètement, et c’est comme ça que j’ai créé tRASHY CLOTHING.”

Combattre l’intolérance

Après notre discussion dans le bar, Shukri m’emmène dans l’hôtel de ses parents, un grand bâtiment sur plusieurs étages mais malheureusement fermé depuis 15 ans. C’est l’un de ses lieux fétiches. Il y réalise ses shootings avec ses modèles, souvent lui et sa bande de potes.

L’ascenseur ne fonctionne pas, on grimpe donc les 5 étages pour finalement se retrouver sur le toit, avec une vue imprenable sur la ville sainte. “Les gens à Jérusalem sont plutôt conservateurs, on ne peut pas vraiment être qui on veut, mais du coup ça nous rapproche entre personnes de la même sensibilité et ça nous permet d’être plus connectés. Pour la nouvelle collection, on a shooté dans les rues de Jérusalem-Est, on a dû attendre l’iftar [heure à laquelle les musulmans rompent le jeûne], pour pouvoir prendre des photos dans la rue le soir.”

Pour Shukri, être hiérosolymitain et être Palestinien c’est la même chose, la seule différence c’est la façon dont ils vivent l’occupation : Tous les Palestiniens ont une expérience différente de l’occupation, on ne le vit pas tous de la même façon en fonction de là où on vit. Que ça soit Jérusalem, Ramallah, Hébron ou Gaza, ce sont des expériences totalement différentes. Mais en dépit de ces différences, on reste des Palestiniens.”

Shukri fait partie d’une scène queer palestinienne riche et créative, dont les acteurs et les actrices se retrouvent souvent à combattre sur plusieurs fronts : l’occupation, le racisme et l’intolérance face à leurs choix.

“Je veux montrer qu’on existe, qu’on est là”

Souvent oubliée et jamais montrée, cette scène est pourtant très présente dans la culture underground palestinienne, et plus généralement arabe. La réappropriation de la culture palestinienne, associée à celle de la scène queer, donne souvent naissance à des initiatives brillantes.

À travers sa marque tRASHY CLOTHING, le but de Shukri est de redonner à son peuple la liberté dont il a été privé. Combattre les stéréotypes en utilisant la mode, l’art, est une façon pour lui de s’engager politiquement. En récupérant le pouvoir sur son corps, sur sa sexualité, et en affirmant son souhait d’émancipation, ce Palestinien veut ouvrir les portes pour que d’autres puissent exister :

“Je me définis comme queer, et mes ami·e·s aussi. Il y a une communauté de personnes qui sont ouvertes ici et qui ne s’excusent pas d’être ce qu’elles sont.

Mais le monde n’est pas au courant de ça, et c’est ce que j’essaie de changer avec mon travail. Je veux montrer qu’on existe, qu’on est là. Je veux que l’on soit représenté dans les médias et que l’on nous voie. Qu’on puisse s’exprimer de manière libre.”

L’occupation n’est pas seulement physique, elle est aussi mentale. Et c’est à travers la libération des corps et de la culture qu’il souhaite faire passer son message, car il estime que sans représentation adéquate, il n’y aura jamais de possibilité d’exister en dehors de l’occupation.