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Entre textes et images, Raymond Depardon retrace sa carrière dans une expo à la Fondation Henri Cartier-Bresson

Entre textes et images, Raymond Depardon retrace sa carrière dans une expo à la Fondation Henri Cartier-Bresson

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GERMANY. Saxe. On the road to Leipzig.

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

À la Fondation Henri Cartier-Bresson, Raymond Depardon expose, jusqu’au 17 décembre, des photos et des textes qui retracent sa carrière, qui la traversent, comme une recherche du temps perdu et un retour aux origines.

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“Je joue avec le temps et le temps joue avec moi. Peut-être qu’une cohérence finira par se dégager”, disait Raymond Depardon. Dans son exposition en cours à la fondation Henri Cartier-Bresson, il est question de textes, d’images et de “traverser le temps”. Ce n’est pas pour rien si l’exposition de ce réalisateur, photographe et écrivain français s’appelle sobrement “Traverser” : ce verbe appelle le mouvement et son infinitif conditionne une action en cours, qui ne s’arrête pas. Il est à son image : sans limites.

L’exposition se déroule un peu comme cela : on traverse la pièce, son œuvre, on découvre sa vie, ses voyages, des épisodes se découpent, ils défilent devant nos yeux et lui nous transmet sa mémoire. À la croisée entre intime et photojournalisme, Raymond Depardon nous offre en plus d’images des fragments de pensée extraits de ses livres ou d’interviews. C’est Agnès Sire, directrice de la Fondation et commissaire de l’expo, qui a choisi tous ces textes et toutes ces images qui nous font voyager, appartenant à “celui pour qui le retour incessant à l’origine est fondateur”, comme elle l’écrit dans la préface du livre de l’expo, publié aux éditions Xavier Barral.

Un lien texte-image fort

Entre les photos affichées, où noir et blanc et couleur se confondent, des mots s’interposent, complètent les images, les accompagnent de réflexions et d’introspections : de ce qu’il apprend au fil de sa carrière et pense dans l’instant présent. Le texte, plus personnel, est intrinsèquement lié à l’image et crée une narration photographique sans ordre chronologique, avec des allers-retours dans le temps. Il n’y a d’ailleurs pas systématiquement de lien logique entre les citations et les images : on pense à cet extrait d’une lettre qu’il a écrite à une femme photographe au milieu de ses photos réalisées dans un Liban en guerre. Les récits de sa vie personnelle ponctuent le récit de ses voyages.

Ses mots sont pour la plupart extraits de ses deux livres Notes (1979) et Correspondance new-yorkaise (1981) et permettent un ancrage dans le réel. Ils sont placés de manière linéaire et continue entre les images, tandis que les photos, elles, valsent de manière inconstante, et sont éparses, montent et descendent sous cette ligne invisible tracée par le texte. Comme une errance du spectateur dans un album photo géant de ses souvenirs.

De l’ordre dans les souvenirs

Cette exposition est divisée en différentes parties, ou plutôt en moments correspondant à des grands thèmes issus de ses souvenirs. Au premier étage de la Fondation, il y a “La Terre natale” où il partage des photos de sa ferme du Garet, de la chambre de ses parents, des scènes intimes du monde paysan, au sein duquel il a grandi, mais aussi son envie de partir et de revenir :

“À 16 ans, j’avais devant moi une de ces fermes merveilleuses comme il n’y en a plus aujourd’hui, et je suis monté à Paris faire la première de À bout de souffle en négligeant les photos que j’aurais pu faire chez moi. Je me suis rendu compte en regardant le travail de Walker Evans – que j’admire tant – que j’aurais pu faire avec la campagne de mon enfance l’équivalent du travail qu’il a fait avec la dépression des années 1930 aux États-Unis”, peut-on lire sur les murs.

De la ferme du Garet, il adopte ensuite Paris comme terre natale : “Paris, c’est un lieu où j’habite, une famille, une base arrière, une retraite pour réfléchir et finir les travaux en cours”, écrit-il. Puis il y a “Voyage”, avec des photos de New York, de Glasgow, de la Mauritanie, de l’Égypte, de l’Érythrée, de l’Allemagne et du Pakistan.

Le deuxième étage est plus sombre. Il y a d’abord “La Douleur” avec ses photos de pays en guerre comme le Liban, le Viêt Nam, ou le Tchad. Les images ne montrent pas de violences, elles sont même plutôt douces. Dans les textes, on apprend que sa survie était pour lui aussi importante que celle de son matériel photographique. Il écrit :

“Il y a toutes sortes de douleurs. Y a-t-il des grandes et des petites douleurs ? Il y a surtout celle de la misère des vivants. Peut-être que l’on peut le dire, que c’est plus qu’une émotion, plus qu’une sensation. […] Il s’agissait de donner une dimension à la douleur en photographiant un être humain. La douleur du monde était exprimée simplement en photographiant quelqu’un. Aujourd’hui, cela me gêne un peu. Pour moi, la douleur est aussi dans le cadre, dans le paysage, un coin de porte ou autre chose.”

Et pour finir, il y a “L’Enfermement”, avec son reportage dans les hôpitaux psychiatriques en Italie du Nord (à Turin et Venise) et en France. On peut aussi voir une image d’un homme qui court, dans une prison dans l’Aube. Il témoigne ici des expérimentations libérales qui ont eu lieu dans les années 1980. La notion de liberté est ici remise en question au sein du système judiciaire. Après être resté trop longtemps enfermé dans ces lieux, Raymond Depardon écrit :

“Un jour, je fus surpris de ne plus avoir aucune émotion en faisant mes photos. Je n’avais plus cette fièvre du début, cette distance avec le décor. Je commençais à m’approcher trop, à travailler comme un technicien, à choisir mes cadrages, à attendre la prouesse d’une bonne image. J’étais devenu trop lucide. Je n’avais plus peur des fous. J’ai arrêté aussitôt, je suis rentré à Paris et je n’ai plus jamais fait de photos à San Clemente.”

Sur cinq décennies d’archives et de récits, Raymond Depardon nous plonge ainsi dans ce qu’a été sa vie, dans ce qui l’a forgé et formé en tant que photographe et homme.

“Traverser”, exposition de Raymond Depardon jusqu’au 17 décembre 2017, à la Fondation Henri Cartier-Bresson.