Des femmes noires mises à l’honneur dans des portraits inspirés de la peinture classique

Des femmes noires mises à l’honneur dans des portraits inspirés de la peinture classique

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Par Aude Jouanne

Publié le

Crânes, robes brodées et poses de trois-quarts : les photos de Nigel Morris reproduisent avec précision les codes des portraits célèbres de la peinture des XVIe et XVIIe siècles. À un détail près, la couleur de peau des modèles.

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“Rembrandt, Le Caravage et Vermeer, dans cet ordre.” Le photographe originaire de Brooklyn, Nigel Morris, n’hésite pas un instant lorsqu’on lui demande de citer les peintres qui l’inspirent le plus. Enfant, Nigel fréquentait assidûment les musées et s’est même initié à l’art en participant à des ateliers. C’est ainsi qu’il a fait connaissance avec les peintres de la Renaissance et de la période baroque (parmi un tas d’autres artistes), rangeant dans un coin de sa tête toutes ses découvertes.

Une fascination pour les peintres classiques

Il lui faudra plusieurs années, et un détour par la photographie, pour qu’il y repense, s’y replonge et soit à nouveau frappé par la richesse des détails de ces peintures et la lumière qui émane des portraits de ces époques :

“J’ai redécouvert Rembrandt, Le Caravage et Vermeer il y a environ cinq ou six ans. La lumière est probablement ce qui m’inspire le plus dans leurs portraits. Parmi ceux que je préfère de Rembrandt, il y a le Portrait d’une jeune femme avec un éventail, le Portrait de l’artiste en costume oriental, et le Portrait de Oopjen Coppit. Du Caravage, David avec la tête de Goliath et Saint Jérôme écrivant. Et le dernier, et non des moindres, Vermeer avec La Jeune Fille à la perle, L’Art de la peinture, et L’Astronome.

Son projet Black Renaissance mêle son amour de la peinture à son implication dans la lutte pour la reconnaissance et la défense des droits des Afro-Américains. La série pointe ainsi le manque de représentations de cette communauté, dont les membres sont soit absents des tableaux d’antan, soit dépeints en tant qu’esclaves.

Réparer le manque de représentations des Afro-Américains

Afro-Américain lui-même, Nigel Morris répare l’injustice à sa manière, en réinventant le passé pour essayer de changer les mentalités. Robes précieuses ornées de broderies, objets caractéristiques des vanités, poses de trois-quarts ou de profil… Ses portraits sont en tous points identiques aux œuvres des peintres qu’il admire mais représentent cette fois des modèles noires. Autre symbole détourné, le crâne, figuration de la mortalité humaine, utilisé ici pour représenter les atrocités que les Afro-Américains ont subies, mais réussi à surmonter :

“J’ai voulu créer un univers parallèle où les Afro-Américains seraient enfin représentés dans l’histoire de l’art, fiers et majestueux. Si je devais décrire le but de ce projet, je dirais que je l’ai conçu pour élever et inspirer les gens. Faire en sorte qu’ils réfléchissent et s’interrogent. Les Afro-Américains sont souvent décrits de manière négative et avec ce projet, j’ai cherché à inverser cette image, à apporter un nouveau regard, un nouvel éclairage. “

À la manière de ses peintres favoris, Nigel Morris attache une grande importance à la lumière qui éclaire ses sujets et qui se focalise sur les visages de ces modèles inattendues. En résultent des portraits d’une grande modernité, contrastant totalement avec l’inventaire méticuleux des symboles picturaux anciens.

Ce soin particulier apporté à la lumière est une composante essentielle du travail du photographe qui a choisi de se spécialiser dans le portrait dès ses débuts. Une façon pour lui de sonder les personnalités des modèles qu’il photographie et de tenter d’y trouver des ressemblances. Black Renaissance est, dans cette perspective, intimement liée au propre vécu et aux convictions du photographe :

“J’ai eu une vraie révélation en découvrant le travail de Richard Avedon, Dan Winters, Mark Seliger, Nadav Kander, Joe McNally, Marco Grob, Gordon Parks ou encore Erwin Olaf. Pour moi, photographier les gens a quelque chose de presque thérapeutique. Je suis très curieux par nature, et je cherche toujours des similarités avec mes sujets, au-delà de nos différences au premier abord.”

Faute de fonds suffisants, Nigel Morris a dû suspendre son projet, mais ne perd pas de vue son objectif de le compléter prochainement. Affaire à suivre, donc.