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Festival Photoreporter 2017 : l’île oubliée d’Okinawa et ses habitants opprimés

Festival Photoreporter 2017 : l’île oubliée d’Okinawa et ses habitants opprimés

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Le photographe japonais Kosuke Okahara expose au Festival Photoreporter de Saint-Brieuc une série de photos dédiée aux habitants délaissés de l’île japonaise d’Okinawa.

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Okinawa est une île japonaise au milieu de l’océan Pacifique, dont on entend souvent parler, depuis les années 1990, à travers des clichés touristiques léchés et des images paradisiaques. Son histoire et son passé sont en fait oubliés, et la situation sociale, politique et militaire actuelle est rarement abordée.

Historiquement, cette île était initialement indépendante avant l’invasion japonaise de 1609. C’est pendant la seconde guerre mondiale qu’elle est devenue un véritable champ de bataille contre les Américains, perdant ainsi 25 % de sa population au cours du conflit. L’armée américaine a occupé ensuite l’île jusqu’en 1972 avant d’être officiellement rendue aux Japonais. Les soldats ont continué à semer la terreur pendant la guerre du Viêt Nam, durant laquelle ces derniers violaient les Okinawaises avant de partir au combat. D’occupation en occupation, l’île n’a cessé de perdre sa culture au fil des siècles.

Aujourd’hui délaissée et silencieuse, l’île n’a pas beaucoup changé. Les Américains occupent encore et toujours le territoire, comme une colonisation tacite et post-guerre. 70 % des forces armées américaines déployées au Japon vivent sur cette minuscule île, c’est-à-dire 25 800 militaires et les quelque 19 000 membres de leurs familles.

Les Américains ont d’ailleurs plus de droits que les Okinawais eux-mêmes, qui tentent de s’opposer mais qui voient à la place leurs droits violés. La plupart des locaux ont développé une haine croissante envers leur envahisseur, mais font montre d’une fausse sympathie. D’autres deviennent amis avec les Américains. Un sentiment d’amour-haine hante leurs relations. Mais aussi un sentiment d’injustice ressenti par le peuple de l’île : comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement japonais souhaite construire une nouvelle base militaire américaine.

Portrait d’un peuple opprimé

S’inscrivant dans une approche humaniste du photojournalisme, Kosuke Okahara s’est rendu durant un mois sur cette île, dans les villes de Koza et de Kadena, à la rencontre des habitants afin qu’ils lui ouvrent les portes de leur quotidien.

Loin des images de cartes postales, il dresse un portrait de ce peuple qui subit et se tait, toujours persécuté par les soldats américains, 70 ans après la guerre : “Okinawa renvoie couramment à son bel océan bleu, mais la véritable couleur d’Okinawa est plus profonde que l’obscurité”, confie un conducteur de camion au photographe. On apprend aussi que le Japon est “le seul pays où les autorités ne peuvent pas arrêter des soldats américains lorsqu’ils violent et tuent une fille de 12 ans.”

Cette dure réalité et le déclin de l’après-guerre vécus par les Okinawais sont méconnus et peu abordés dans la presse internationale :

“Toutefois, les gens survivent sans pour autant être désespérés. L’histoire a exposé les Okinawais à de violents changements, les forçant à adapter leur culture et leurs modes de vie aux envahisseurs japonais puis américains. Les personnes rencontrées à Koza vivent dans l’instant présent. Les problèmes d’alcoolisme, de violence et de prostitution, et plus largement, leur façon de vivre est l’héritage de l’histoire.

Les Okinawais n’ont jamais vécu dans une société stable avec des perspectives d’avenir. […] Il est rare de voir une telle façon de vivre dans un pays développé comme le Japon ou la France. […] Les Okinawais vivent insouciants dans l’obscurité”, explique Kosuke Okahara.

Quand on demande au photographe s’il pense que les Américains restent sur cette île par stratégie géopolitique vis-à-vis du Japon ou de la Corée, il nous répond qu’il ne pense pas que ce soit vraiment leur motivation : “Cette situation reste obscure, mais elle semble avant tout très confortable pour les militaires américains.”

Une installation de photos conceptuelle

Les photos de Kosuke seront accrochées jusqu’au 5 novembre 2017 dans la baie de Saint-Brieuc au Carré Rosengart, dans le cadre du Festival Photoreporter. L’exposition se présente sous la forme d’une petite pièce (petite à l’image de l’île) dans laquelle on entre et on peut voir ses photos en noir et blanc qui saturent les murs, ne laissant place à aucune respiration, aucune parcelle de blanc.

Très sombre, cette pièce témoigne des scènes de vie intimes auxquelles le photographe a assisté en fréquentant les Okinawais au quotidien. On observe la beauté de certains visages, des rues, des personnes avinées et droguées, des prostituées ou des amants en plein acte sexuel, des corps nus et des instants flous et insaisissables. À propos de ses rencontres, Kosuke déclare :

“Malgré tout, au milieu de cette agitation, la bonté persiste. Les alcooliques étaient très amicaux, les pauvres m’ont toujours invité à boire, les prostituées me souriaient sans désespoir, les mères célibataires travaillant dans le quartier chaud regardaient les images de leurs enfants avec amour.

J’étais attiré par ces personnalités qui vivaient dans un monde apparemment chaotique mais étrangement dominé par son ordre. Comme j’étais dans leur espace, j’ai essayé de fonctionner avec leur système. La caméra peut être un appareil agressif même si j’essaie de photographier mes sujets avec discrétion. Je les comprends et les accepte avec leurs contradictions.”

À aucun moment, on ne ressent de la pitié ou de la tristesse face aux images. Son approche n’a rien de misérabiliste.

Au cours d’un entretien avec le photographe, il nous avoue qu’il aurait aimé placer cette petite pièce dans une autre pièce, comme une poupée russe. Sur les murs, il aurait voulu exposer des photos très cliché et touristiques en couleurs, des plages et des bases maritimes de l’île d’Okinawa pour tromper le spectateur, avant qu’il ne découvre la pièce intérieure où ses photos en noir et blanc, plus brutes et oppressantes, sont affichées.

Il nous raconte également que durant son séjour, il a fait beaucoup de plongée en apnée et qu’il aurait aimé projeter des extraits vidéo des images qu’il a tournées sous l’eau sur le sol de la pièce centrale afin de positionner le spectateur dans un sentiment d’instabilité et de fragilité du monde, équivalent à celui des habitants d’Okinawa : “Il y règne un chaos qui interroge. C’est un lieu qui semble avoir perdu tout contrôle de lui-même, il est gouverné par un ordre créé dans le désordre”, conclut le photographe.

Exposition “Rhapsodie dans l’obscurité” de Kosuke Okahara au Carré Rosengart dans la baie de Saint-Brieuc, jusqu’au 5 novembre 2017, lors du Festival Photoreporter.