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Interview images : à la découverte de Svalbard, terre mi-norvégienne mi-russe avec Léo Delafontaine

Interview images : à la découverte de Svalbard, terre mi-norvégienne mi-russe avec Léo Delafontaine

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Par Solenn Cordroc'h

Publié le

Le photographe Léo Delafontaine a arpenté, entre 2013 et 2015, la région isolée de Svalbard en Norvège afin de documenter le passé minier et le futur touristique de cette terre mi-norvégienne mi-russe.

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À 3 000 kilomètres de Moscou, la Russie étend son hégémonie en terre arctique. En effet, en 1920, le traité concernant le Spitzberg attribuait à la Norvège la souveraineté sur l’archipel de Svalbard sous de multiples conditions, dont la suivante : la possibilité pour tous les pays signataires d’y développer une activité durable.

La Russie est aujourd’hui le seul pays à jouir de ce droit en exploitant la richesse des terres. Si toutes les mines ont toujours été financièrement déficitaires, seule une sur les quatre établies est encore en activité. La mine insalubre de Barentsburg s’active de jour comme de nuit, mais personne n’est dupe. En réalité, l’emplacement stratégique de la mine sert les intérêts russes.

Intrigué, Léo Delafontaine a bravé les tempêtes pour photographier les travailleurs ukrainiens. Attirés par un salaire avantageux, ils signent un contrat de deux ans pour une vie de solitaire dans le grand froid polaire. Si Barentsburg n’est qu’un passage dans leur vie, ils triment néanmoins jour après jour dans une existence monotone. Dans ce panorama silencieux et glacé, la seule activité possible est le travail éreintant à la mine, dont le bruit sourd des machines résonne sur l’horizon d’un blanc morose.

Face à la perte de vitesse d’une mine obsolète, la Russie cherche désormais à se tourner vers le tourisme. Ainsi, ont ouvert une brasserie, un restaurant, une auberge de jeunesse et un centre d’expédition. Cependant, les travailleurs, contrairement aux visiteurs de passage, ne peuvent s’enticher ni de la bière locale ni des installations dernier cri. Leur salaire ne leur étant pas versé en couronnes norvégiennes, la Russie condamne les mineurs à rester vivre sous terre et à charbonner inlassablement dans un enfer de glace.

Pour Cheese, Léo Delafontaine s’est replongé dans ses souvenirs figés dans la glace et nous livre ses impressions de voyage en images.

Une femme ?

“J’ai rencontré Lena le premier jour de mon premier voyage à Barentsburg. Ne sachant pas trop où aller, je suis entré dans le complexe sportif et culturel de la ville un peu au hasard, estimant que ce serait un bon moyen de rencontrer des gens. Débarquant avec mes grosses chaussures boueuses, Lena m’a rappelé la coutume russe de déchaussage systématique.

Malgré ma première impolitesse, elle m’a fait visiter le centre et notamment les coulisses de la salle de spectacle où elle pose justement pour son portrait. En été tous les jeudis, un bateau de touristes accoste et vient assister après son tour réglementaire de la ville à un show mélangeant danse traditionnelle et turbo folk, le tout à la gloire de la Russie éternelle.”

Un homme ?

“Un des endroits les plus difficiles d’accès fut l’atelier de mécanique de Barentsburg. Ce n’est seulement qu’à mon troisième et dernier voyage que j’ai obtenu une autorisation. Le lieu n’a pas changé depuis sa construction dans les années 1950. Arrivé dans la forge face à Anatoli et son enclume, j’ai tout de suite voyagé dans le temps en imaginant le monde ouvrier de nos grands-parents qui n’avaient pas besoin d’électronique à l’époque.”

Un décor ?

“Le Consulat de Russie du “Spitzberg” − la Russie ne reconnaît pas le nom de “Svalbard”, la dénomination norvégienne − est situé à Barentsburg et constitue la seule représentation diplomatique dans la région, ce qui en fait le consulat le plus septentrional au monde. Yuri Gribkov est le consul général russe pour le Spitzberg.

Depuis son arrivée à Barentsburg, il s’emploie à rénover aussi bien le consulat que la ville. Ancien consul général de la Fédération russe à Marseille, il parle parfaitement le français, ainsi que l’anglais et l’ukrainien. La présence des ours dans la région (on en dénombre toujours près de 5 000 pour deux fois moins d’habitants) lui confère le privilège d’être le seul consul à pouvoir être officiellement armé.”

Un souvenir ?

“Depuis 2008, des travaux de nettoyage des colonies minières russes de l’Arctique ont été commandés par Moscou, et ce pour répondre aux obligations écologiques en vigueur au Svalbard. Des tonnes de ferraille sont donc entassées dans la décharge de Barentsburg en attendant une décision officielle.

Après un après-midi à faire des photos sans réussir à vraiment sortir quelque chose de satisfaisant, je décide de ranger mon matériel. C’est forcément à ce moment-là que Mahmad descend une pile de ferraille aidé d’une grue hors d’âge. J’ai heureusement le temps de faire trois clichés dans la précipitation.”

Une déception ?

“Après avoir reçu les instructions de la journée, les mineurs s’équipent en “salle de lampes”, soufflent dans un alcootest, et parcourent environ 200 mètres dans les premiers souterrains de la mine jusqu’à ces bancs où ils attendent le départ du prochain funiculaire qui les mènera sous terre.

Malheureusement, je n’ai pas eu la chance d’aller plus loin que ce premier funiculaire. Ce n’est pas faute d’avoir insisté, mais le directeur de la mine n’a jamais accepté qu’on photographie les installations et les négligences dans les conditions de travail et de sécurité de la mine de Barentsburg.”

Une sensation ?

“En pleine nuit à Barentsburg, je me souviendrai toujours des mots de Yuri sur le silence absolu : dans la vie moderne, il y a beaucoup de bruit, de sons et y échapper est presque impossible. L’homme est toujours en mouvement. Mais dans ma vie, il m’est arrivé deux fois d’être en présence d’un silence total. La première fois, c’était dans une mine dans une excavation non-exploitée où j’ai soudainement perçu un sifflement dans les oreilles. J’étais frappé par le silence absolu qui m’entourait.

J’ai eu l’impression de me trouver dans une autre dimension, comme si la civilisation avait disparu. La deuxième fois, c’était sur la montagne de Pyramiden. Fin août 1994, j’avais décidé d’y monter seul. À la moitié de l’ascension, la neige a commencé à tomber très fort. Il n’y avait pratiquement pas de vent, seulement un silence absolu. Je n’oublierai jamais ces deux moments de ma vie. J’aimerais bien sûr que ça se reproduise, mais je ne sais pas ce que le destin en décidera. Serai-je chanceux ou pas ?”

Une odeur ?

“À Pyramiden, une enclave russe du Svalbard abandonnée en 1998, rien n’a quasiment bougé depuis le départ des habitants du jour au lendemain. Dans l’hôpital, les plantes, le matériel et les installations restent. Malgré tout, avec le temps qui passe, règne ici une odeur de produits chimiques et de médicaments qui nous rappelle que personne n’y a mis les pieds depuis maintenant presque 20 ans.”

Un son ?

“Après quelques visites de courtoisie au Consul, il insiste pour que sa fille nous interprète l’Ave Maria au piano. Quelle surprise de découvrir qu’elle parle un français parfait et qu’elle vit à Paris, où elle étudie la littérature. Elle ne vient que quelques semaines par an à Barentsburg pour rendre visite à son père. Sa mère, Tatiana, habite elle aussi en France où elle s’occupe de la Maison de la Russie à Nice et du ciné-club de l’Alliance franco-russe à Marseille.”

Un retour vers le passé ?

“Barentsburg a conservé quelques vestiges de son passé soviétique comme un panneau proclamant “Notre but est le communisme” ou ce buste de Lénine sur la place centrale. C’est d’ailleurs à cet endroit que se réunissent les touristes venus en croisière de Longyearbyen pour commencer la visite de la ville par les guides locaux.”

Une vision du futur ?

“La mine de Barentsburg est annoncée comme bientôt tarie. Aussi, le trust d’État gérant la mine cherche à se renouveler en se tournant vers le tourisme afin de minimiser ses pertes financières. Depuis 2010, de nombreux travaux de rénovation ont ainsi été initiés. En 2013 ont été ouverts une brasserie, un restaurant, une auberge de jeunesse ainsi qu’un centre d’expédition, preuves d’un regain d’intérêt des autorités russes pour le Svalbard et de l’attrait touristique que la région commence à constituer.

Si jusqu’à maintenant Barentsburg ou Pyramiden, avec leurs statues de Lénine et leurs infrastructures vieillissantes ou abandonnées, ne pouvaient que rappeler les vestiges figés de l’époque soviétique, ces enclaves sont maintenant vouées à participer au renouveau de la puissance russe dans les années à venir.”