La photographie réduite au rang de “bureau” au sein du ministère de la Culture

La photographie réduite au rang de “bureau” au sein du ministère de la Culture

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© Westend61/Getty Images

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Par Lise Lanot

Publié le

Une décision prise dans la plus grande discrétion et à la lourde portée symbolique.

En juillet dernier, 450 photographes signaient une tribune demandant à Emmanuel Macron de concrétiser ses promesses affirmées deux mois plus tôt, lors d’une allocution télévisée tenue quelques jours avant le premier déconfinement. Le chef de l’État y avait annoncé le lancement d’un “grand programme de commande publique” sans cependant donner pléthore de détails.

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Inquiet·ète·s quant à l’avenir de leur secteur, déjà fragilisé, de nombreux·ses photographes, dont Jane Evelyn Atwood, Sebastião Salgado, Véronique de Viguerie, Raymond Depardon ou encore Lise Sarfati, s’étaient mobilisé·e·s. Leur crainte d’une dévalorisation de leur travail s’est hélas avérée bien légitime : dans le cadre d’une réorganisation nationale globale, le Journal officiel de la République française publiait le 31 décembre 2020 – “en catimini”, précise Libération – son “décret de réorganisation du ministère de la Culture reléguant la délégation à la photographie au rang de simple ‘bureau'”. Une “sous-catégorie dans les arcanes ministériels”, souligne le journaliste Lionel Charrier.

La délégation à la photographie n’était pourtant pas vieille, elle avait été lancée avec enthousiasme sous la prédécesseure de Roselyne Bachelot, Françoise Nyssen, il y a trois ans seulement. Les remaniements des gouvernements et des cabinets ont eu raison de cette initiative, pensée par Frédéric Mitterrand il y a huit ans. La photographie était devenue en 2017 une délégation de la direction générale de la création artistique, au même rang que le théâtre, la danse et la musique. Un aboutissement.

L’article 3 du décret de la fin décembre 2020 annonce un changement radical : d’une délégation, la photographie passe à un “bureau” inclus au sein de la délégation des arts visuels (autrefois un service : tout le monde descend d’un cran), aux côtés des “arts plastiques”, du “métier d’art”, du “design” et de “la mode”. Les effets de cette destitution sont encore incertains : les équipes, les budgets, les champs d’action de l’ancienne délégation vont-ils changer ? Si oui, comment ? Pour le moment, l’horizon est flou et nous attendons un retour de la part du service de presse du ministère de la Culture.

Une lourde portée symbolique

Une chose est manifeste cependant : si les conséquences concrètes d’un tel changement restent obscures, les portées symbolique et politique sont claires. En descendant d’un échelon, la photographie est reléguée à une discipline de moindre importance, marquant inévitablement un manque de cohérence et de vision de la part du ministère de la Culture.

La décision est d’autant plus difficile à avaler au vu du contexte de ces derniers mois : les photographes sont nombreux·ses à avoir dû retarder (voire annuler) leurs expositions, à ne plus pouvoir immortaliser spectacles et événements, et à “manquer de moyens de production”. Sans oublier, bien sûr, la débâcle causée par la loi sécurité globale, qui alarmait la Défenseure des droits concernant le travail des photojournalistes. Alors que le “grand programme de commande publique” d’Emmanuel Macron est toujours inconnu à cette adresse, le monde de la photographie subit un nouveau coup dur.

La culture indépendante en danger

Pour Julien Mignot, photographe indépendant, cette nouvelle incite à prendre du recul sur le traitement réservé à la culture, et plus particulièrement à la culture indépendante, en ces temps troubles. 

“Ce qui me fait peur”, nous confie-t-il par téléphone, “c’est que ce qui se passe n’est qu’un symptôme de cette direction prise par le gouvernement qui, d’un côté, nous assure voir la culture comme une priorité de la démocratie, et qui, d’un autre côté, prend des décisions assez incompréhensibles.”

Sous l’ombre du “Plan Bachelot” de la ministre et de ses deux milliards “d’aide à la culture”, on trouve en pôles positions l’audiovisuel français, les châteaux de Villers-Cotterêts et de Versailles ou encore l’opéra de Paris : “La culture indépendante se retrouve en bout de course, avec une peau chagrin.” C’est pourtant bien elle, souligne le photographe, qui fait la culture de demain. 

Déjà bien cabossé par la loi Sécurité globale, le secteur de la photo reçoit ici un coup bas : la suppression, aussi floue soit-elle, de cette délégation peut paraître anodine, mais la naissance de cette dernière faisait partie de ces “petits combats qui donnent un cap, une direction” à la culture, assure Julien Mignot. “Ce qui est vraiment flippant, c’est la suite, quand il va falloir reglâner ces petits combats. Parce que là, toutes ces pertes se font discrètement, petit bout par petit bout.” Et c’est bien cela qui achève de mettre à terre cette décision annoncée “en catimini” : 

“Ce qui est vraiment déplorable, c’est la manière dont ça a été fait. À la limite, si Roselyne Bachelot avait pris la parole, en expliquant ce choix et ses retombées, on aurait moins eu l’impression d’être pris pour des cons. Le faire par décret un 31 décembre, c’est abominable. C’est une vraie défiance par rapport aux gens de la culture”, assène Julien Mignot.

Une défiance particulièrement malvenue et qui ne risque pas de fluidifier un dialogue de plus en plus sourd entre le gouvernement et celles et ceux qui font la culture, “comme sur deux planètes différentes”, souffle le photographe.