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Le quotidien de la police de Los Angeles infiltré dans les années 90 par Joseph Rodriguez

Le quotidien de la police de Los Angeles infiltré dans les années 90 par Joseph Rodriguez

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© Joseph Rodriguez

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Par Lise Lanot

Publié le

D’abord passé par les gangs, le photographe a immortalisé la LAPD en quête de la "violence silencieuse" des États-Unis.

Dans les années 1990, la police judiciaire de Los Angeles cherchait à se “racheter une image” suite au soulèvement causé par l’affaire Rodney King, un homme noir tabassé par des officiers de la LAPD (56 coups de bâtons, six coups de pied, vingt points de suture, une mâchoire fracturée et une cheville cassée) après une arrestation pour conduite en état d’ivresse et une course-poursuite sur une dizaine de kilomètres. En plus de la démission forcée du chef de la police Daryl Gates et la nomination de Willie Williams, le premier chef de département noir, la police municipale de Los Angeles a laissé un photographe infiltrer son quotidien.

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Joseph Rodriguez a passé plusieurs semaines aux côtés des divisions Rampart et Pacific de la 77th Street afin de réaliser un reportage pour le New York Times. La une du numéro en question, daté du 22 janvier 1995, interrogeait la possibilité de trouver une police “plus douce et sympathique”. Des couloirs du commissariat aux fouilles nocturnes, le photographe new-yorkais a suivi les équipes de police dans toutes leurs missions, son appareil photo toujours prêt à être dégainé.

Les officiers de la division Rampart maintiennent un homme arrêté au sol. (© Joseph Rodriguez)

Son reportage en couleur est toujours aussi pertinent, et d’utilité publique, 25 ans plus tard, alors que les violences policières sont au cœur du débat public états-unien (et européen). C’est autour de ces remises en question que le Bronx Documentary Center organise une exposition virtuelle présentant cette série – dont les images ont également été rassemblées dans un livre.

“En 2020, année du mouvement Black Lives Matter, une génération après la prise de ces photos, de nouvelles réformes exigent des réformes et les mêmes questions concernant les forces de l’ordre – pour qui existent-elles, qui servent-elles, qui protègent-elles – forment la discussion publique”, souligne le musée du Bronx.

Un homme suspecté de meurtre est arrêté sous le regard de sa famille. (© Joseph Rodriguez)

L’à-propos des photographies, plus de deux décennies plus tard, réside dans leur subjectivité. Joseph Rodriguez donne leur place aux policiers mais aussi aux personnes qu’ils arrêtent, rencontrent ou qui se plaignent d’eux : “Il n’a pas peur d’humaniser les policiers mais les images montrent aussi le côté plus sombre des officiers et de ceux qu’ils ont juré de protéger.”

“Pas un fan de la police”

Le choix de Joseph Rodriguez est d’autant plus judicieux qu’avant 1994, le photographe se trouvait plutôt “de l’autre côté”, tel qu’il le rapportait lors d’un entretien datant de 2013 :

“Papito, c’était bizarre. Je n’étais pas le plus grand fan de la police. […] Mais je savais que ce reportage était plus grand que moi. C’était bizarre de travailler de l’autre côté, avec la police, alors que j’avais moi-même été plusieurs fois menotté auparavant. Assis à leurs côtés dans leur voiture de police, je me sentais assez déboussolé.”

L’officier Llanes et son partenaire fouillent l’intérieur d’un garage où un homme dormait et se droguait. (© Joseph Rodriguez)

Avant ce reportage national, Joseph Rodriguez avait déjà passé deux ans à Los Angeles, mais cette fois-ci aux côtés de gangs (se rapprochant notamment d’un membre de 12 ans surnommé Little Igor) et il ne comptait pas collaborer avec la police après que celle-ci s’était servie de ses photos pour coincer des suspects :

“Un soir, les flics ont fait une descente dans une maison où j’étais allé faire pas mal de photos. Ils ont pris certaines de mes images avec un flingue qu’ils avaient trouvé dans la maison. Ils ont dit aux gamins que je travaillais avec eux et j’ai eu un contrat sur ma tête. À ce moment-là, j’ai écrit dans mon journal que j’arrêtais tout”, relate-t-il.

Immortaliser la “violence silencieuse”

L’officier Hoskins fait face à un accident de voiture. L’automobile s’est retournée sur le côté, et le conducteur et le passager étaient enfermés à l’intérieur. (© Joseph Rodriguez)

D’où son hésitation, donc, à venir travailler pour la police. Il accepte en voyant le projet comme “une expérience psychologique”. “Quand on photographie des violences conjugales, on s’imagine autrui, notre tante, nous-même. Quand on va à des endroits où il y a beaucoup de drogues, [c’est la même chose]. Je connaissais les drogues. Mes expériences m’ont rapproché de cette série.” Il n’a évidemment jamais s’agit pour lui de réaliser une série propagandiste en faveur (ni même contre) la police. Le cœur de son œuvre, rappelait-il, concernait plutôt la “violence silencieuse”, autant dans son travail avec les gangs qu’avec la police :

“Je regardais la violence physique mais aussi la violence des familles abandonnées. La violence du chômage, de tout ce qui n’arrange rien. C’était toujours important pour moi de garder cette violence en perspective. On pourrait dire que j’étais un photographe qui documentait la violence devant moi. Mais c’était beaucoup plus profond. Je la regardais de façon personnelle, en tant que père de deux petites filles. Je regardais ces familles sans recours, sans papiers, sans façon d’exprimer le cauchemar qu’elles vivaient.”

“Les officiers de police de la division Rampart de Los Angeles sont sous pression de toutes parts : du maire, de leurs supérieurs et des citoyens, comme cet homme qui s’est fait agresser par les membres d’un gang et se plaint du manque de protection policière.” Légende originale du <em>New York Times Magazine</em> datant du 22 janvier 1995. (© Joseph Rodriguez)

Le reportage de Joseph Rodriguez n’aura pas suffi à redorer le blason de la police. Quatre ans après la publication des images, la station photographiée faisait les unes des journaux à cause d’un des plus grands scandales de corruption du XXe siècle, le “scandale Rampart”.

Plus de 80 officier·ère·s étaient impliqué·e·s dans un “spectacle sidérant de corruption, incluant le meurtre d’un collègue officier, le braquage d’une banque, des tirs sans provocation à l’encontre de supposés membres de gangs, le vol de drogues dans les salles de preuve”, souligne le Bronx Documentary Center. 25 ans plus tard, les images de Joseph Rodriguez permettent de poursuivre les conversations concernant le rôle et les pouvoirs de la police au sein de la société états-unienne.

Des officiers de la division Rampart fouillent un motel abandonné à la recherche d’un homme suspecté de meurtre. L’établissement se trouve à quelques pâtés de maisons de l’ancien manoir de Charlie Chaplin. (© Joseph Rodriguez)

Les officiers de la division ont placé une femme en détention. (© Joseph Rodriguez)

Les officiers de la division ont placé une femme en détention. (© Joseph Rodriguez)

La brigade des mœurs arrête des prostituées à la division Rampart. (© Joseph Rodriguez)

Une partie de l’uniforme de la division Rampart. (© Joseph Rodriguez)

Le travail de Joseph Rodriguez sur la police judiciaire de Los Angeles est à retrouver sur le site du Bronx Documentary Center, à l’occasion d’une exposition virtuelle visible du 5 février au 26 mars 2021, ainsi que dans l’ouvrage dédié, LAPD, publié chez The Artist Edition.

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