L’héritage d’un collectif photo afro-américain des 60’s célébré dans une expo

L’héritage d’un collectif photo afro-américain des 60’s célébré dans une expo

Image :

© Ming Smith

photo de profil

Par Lise Lanot

Publié le

En plein mouvement des droits civiques, le collectif Kamoinge visait à faire de la place aux regards de photographes noirs.

Le nouvel élan insufflé à la lutte antiraciste par le mouvement Black Lives Matter pousse les structures culturelles, de la presse aux institutions muséales, à enfin reconnaître la nécessité de diversifier leurs prises de parole et leurs récits.

À voir aussi sur Konbini

Ainsi, nombreux sont les musées à produire des expositions mettant enfin à l’honneur des artistes et mouvements longtemps invisibilisés – et ce, pas seulement lors du Black History Month ou d’événements médiatiques ponctuels. C’est le cas du Whitney Museum new-yorkais, qui présente depuis le mois de novembre dernier une grande exposition dédiée au collectif d’artistes noir·e·s Kamoinge, intitulée “Working Together: the Photographers of the Kamoinge Workshop”.

“Les membres du Kamoinge en 1973”, Anthony Barboza, Adger Cowans, Daniel Dawson, Louis Draper, Al Fennar, Ray Francis, Herman Howard, Jimmie Mannas, Herb Randall, Herb Robinson, Beuford Smith, Ming Smith, Shawn Walker et Calvin Wilson. (© Anthony Barboza)

Formé en 1963 à New York sous l’impulsion du photographe Louis Draper, le groupe tire son nom d’un mot de la langue kikuyu, du Kenya, signifiant “effort collectif”. Cette tension vers un esprit d’échange, de solidarité et d’amitié naît en réaction au racisme et à la ségrégation de la société états-unienne, en plein mouvement des droits civiques.

L’histoire de Louis Draper et les événements sociaux de son pays influencent grandement son travail. Le jeune homme n’a que 20 ans quand est diffusée, dans le magazine Jet, l’image d’Emmett Till, un garçon noir de 14 ans condamné à être lynché par un jury blanc pour avoir supposément sifflé une femme blanche.

“Sans titre (Palmers Crossing, Mississippi)”, 1964. (© Herbert Randall)

Les lynchages de personnes noires étaient alors monnaie courante aux États-Unis et la mère de l’enfant avait insisté pour que son fils soit présenté dans un cercueil ouvert, afin que le pays entier ne puisse pas fermer les yeux devant les atrocités perpétrées à l’intérieur de ses frontières. La photographie du cadavre défiguré du garçon placé devant sa mère, stoïque, marque les esprits et fait comprendre à Louis Draper le pouvoir des images :

“Je veux montrer la force, la sagesse, la dignité des personnes noires… Je ne veux pas faire une déclaration documentaire ou sociologique, je veux une expression créative, le genre de vision et de compréhension pénétrantes des Noirs que seul un photographe noir peut donner”, écrivait-il alors.

“Parler de nos vies comme nous seuls le pouvons”

“Sans issue”, Harlem, New York, 1964. (© Jimmie Mannas)

Les quatorze photographes à l’origine du collectif partagent la même philosophie : “Parler de nos vies comme nous seuls le pouvons.” Chacun·e s’épanouit dans des styles différents, de la photo de rue documentaire à l’abstraction. Pour dresser un panorama de la richesse de production du Kamoinge, le Whitney présente 150 photographies des membres pionniers de façon thématique. L’objectif est ainsi de mettre à l’honneur la volonté de représentation du quotidien des personnes qui n’étaient alors “pas représentées dans les médias traditionnels”.

Les photographies du collectif sont infusées d’inspirations diverses, issues des rues new-yorkaises, de la culture populaire (notamment du jazz) et de sujets sociétaux. Le Whitney souligne qu’entre les années 1960 et 1980, les membres ont “photographié des moments marquants de la lutte des Afro-Américains pour les droits civiques” et se sont “engagés […] à un niveau symbolique dans leur travail”.

Pour Louis Draper, “l’émergence de la conscience africaine explosant en [eux]était d’ailleurs un point fondamental de la formation du Kamoinge. Soixante ans plus tard, les images du collectif n’ont pas perdu de leur pertinence et participent aux discussions concernant le racisme aux États-Unis. Comme beaucoup d’autres musées ces derniers temps, le Whitney a fait le choix de se tourner vers le passé pour tenter d’appréhender les problématiques du présent.

“Deux contrebasses en jeu”, Lower East Side, 1972. (© Beuford Smith/Césaire)

“Pas”, Harlem, 1960. (© Adger Cowans)

“Pile de sel”, 1971. (© Albert Fennar/Miya Fennar/The Albert R. Fennar Archive)

“Frère et sœur”, 1973. (© Herb Robinson)

“Dimanche de Pâques”, Harlem (125e rue), 1972.  (© Shawn Walker)

“Les États-Unis vus à travers des étoiles et des rayures”, 1976. (© Ming Smith)

“Sans titre (Santos)”, 1968. (© Louis Draper/Louis H. Draper Preservation Trust/Nell D. Winston)

L’exposition “Working Together: the Photographers of the Kamoinge Workshop” est visible au Whitney Museum de New York jusqu’au 28 mars 2021.