L’histoire derrière la première photo connue d’esclaves aux États-Unis

L’histoire derrière la première photo connue d’esclaves aux États-Unis

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© Hall Family Foundation

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

L'image, acquise par le Nelson-Atkins Museum, montre une famille américaine moyenne et une dizaine d'esclaves.

C’est la première photo connue relatant un des nombreux sombres chapitres de l’histoire américaine. Ce daguerréotype, dont l’auteur est anonyme, aurait été pris autour de 1850, dans l’État de Géorgie, dans le comté de Greene, en plein cœur d’un champ de coton. Sur le cliché, on peut voir deux personnes blanches et une dizaine d’esclaves noir·e·s, femmes, enfants et hommes, devant une demeure coloniale. Trois hommes portent sur leur tête des paniers remplis de coton.

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Artnet rapporte que le Nelson-Atkins Museum a acquis cette œuvre en pensant qu’elle était la première image représentant des esclaves aux États-Unis. En novembre dernier, la Hall Family Foundation a vendu le cliché au musée lors d’une vente aux enchères de Cowan’s Auctions. La photo était initialement estimée entre 100 000 et 150 000 dollars, mais son prix a grimpé à 324 500 dollars.

La famille Gentry

Auteur inconnu, Américain. Esclaves dans un champ de coton, autour de 1850. Daguerréotype dans un cadre. (© Hall Family Foundation)

Outre le fait qu’elle soit présentée comme la première photo d’esclaves de l’histoire états-unienne, ce daguerréotype remet en question certaines idées reçues sur les familles du Sud qui possédaient des esclaves à l’époque. En effet, durant cette période, la possession d’autant d’esclaves était plutôt une affaire de riches esclavagistes. Pourtant, cette photo montre que dans les États du sud, des classes moyennes en possédaient également.

Pour déduire cela, il a fallu remonter à la source du propriétaire de la photo – et non de son auteur qui reste inconnu. Cowan’s Auctions précise que la photographie a été découverte dans le domaine d’un certain Charles Gentry Jr., qui habitait dans le Texas. Charles Jr. serait né en 1958 et mort en 2012, c’est-à-dire que la photo aurait été prise un siècle avant sa naissance. Au moment de la trouvaille, ce dernier venait de quitter sa résidence dans le comté de Polk, dans l’État de Géorgie (lieu où l’image aurait été prise), pour s’installer au Texas.  

“De nombreux Gentry ont résidé dans les régions des comtés de Polk, Hancock et Greene, et nous pensons que le daguerréotype a été transmis de Charles Gentry Sr. à son fils [Charles Gentry Jr., cité plus haut, ndlr]. Comment Charles Sr. s’est retrouvé en possession de l’image reste un mystère, mais vraisemblablement, elle est passée de mains en mains à travers les membres de son clan patrilinéaire”, écrit Cowan’s Auctions.

Le lieu et le nom coïncidant, la maison de vente aux enchères a donc décidé de mener des recherches plus poussées auprès d’historien·ne·s travaillant en Géorgie, et plus précisément à la Georgia Historical Society, dans le département “conservation historique”. Ces recherches dans les archives de la Federal Slave Schedules, couvrant la décennie qui les intéressait, soit de 1850 à 1860, les ont mené·e·s aux identités des propriétaires d’esclaves dans la région.

Les conclusions ont convergé vers un certain Samuel T. Gentry (1798-1873), aussi appelé “Saml”, apparaissant sur la photo, à gauche avec la canne et le chapeau haut-de-forme. “Au niveau de ses genoux, du mouvement est clairement visible – peut-être un chien sautant et tirant sur sa laisse ? Un tel élément ne serait pas surprenant à propos des conditions de vie dans un champ de coton, puisque la menace de violences faisait partie du quotidien des esclaves”, écrit la maison d’enchères. 

Une remise en question des idées reçues

Dans les archives figuraient peu de personnes portant le nom de Gentry. Samuel T. était le seul à posséder au moins dix esclaves dans cet État, comme sur le daguerréotype. Et il est issu d’une classe moyenne. Entre 1820-30, Samuel aurait quitté la Caroline du Sud pour vivre dans le comté de Greene. En 1830, les listes montrent que sa famille (de six personnes) possédait déjà trois esclaves afro-américains. 

Le daguerréotype après restauration. Auteur inconnu, Américain. Esclaves dans un champ de coton, autour de 1850. (© Hall Family Foundation)

En 1860, le nombre est monté à 18 esclaves. Selon Cowan’s Auctions, Samuel aurait commandé cette photographie pour témoigner de sa réussite sociale et pour documenter sa maison coloniale et son domaine en construction.

“Le daguerréotype documente l’esclavage dans un contexte bien plus modeste que les grandes plantations dépeintes dans les images venues après la guerre de Sécession, prises par des photographes comme Samuel Cooley, qui ont accompagné l’Armée de l’Union.

Dans les champs de Sea Island, des centaines d’esclaves appartenaient à des petites élites d’agriculteurs, offrant à leurs familles un accès au luxe dont rêvait la grande majorité des habitant·e·s de l’État de Géorgie. Bien que ce soit la vision que la plupart des Américain·e·s aient du sud de cette période d’avant-guerre, le daguerréotype de Gentry dépeint une réalité très différente.”

Keith F. Davis, le curateur de la section photographie du Nelson-Atkins Museum, promet de prêter son œuvre acquise à d’autres institutions et d’organiser une exposition pouvant la mettre en avant. Il conclut dans un communiqué de presse : “C’est une représentation d’une ère qu’on ne peut oublier, d’un mode de vie qui ne doit pas être oublié ni pardonné.”