L’université Harvard attaquée en justice pour avoir exploité des images d’esclaves

L’université Harvard attaquée en justice pour avoir exploité des images d’esclaves

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Couverture du livre “Site to Sight” de Melissa Banta et Curtis M. Hinsley, publié aux éditions Peabody Museum Press de Harvard.

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Tamara Lanier, qui dit être la descendante des esclaves figurant sur les photos exploitées par l'université, attaque Harvard.

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Depuis mercredi, l’université Harvard doit faire face à un procès – et peut-être un vrai scandale – après avoir utilisé des images d’esclaves pour sa propre promotion – de ses ouvrages et programmes de conférences et des signalétiques au sein de leur établissement –, et ce depuis une dizaine d’années.

Derrière la poursuite judiciaire, Tamara Lanier, qui affirme descendre des esclaves qui figurent sur les photos utilisées par l’université. Ces derniers ont été photographiés par J.T. Zealy en 1850, en Caroline du Sud, pour une commande d’un professeur de Harvard, le biologiste suisse Louis Agassiz qui enseignait ses théories sur la supériorité blanche et sa conception raciste du polygénisme. Ce professeur avait demandé ces photos pour “prouver l’infériorité biologique des Noirs”, selon Lanier qui accuse Harvard d’avoir “honteusement” exploité ces images d’ancêtres esclaves.

“Papa Renty”

Couverture du livre “Site to Sight” de Melissa Banta et Curtis M. Hinsley, publié aux éditions Peabody Museum Press de Harvard. La couverture montre un portrait de Renty, l’arrière-arrière-arrière-grand-père de Tamara Lanier.

Les photos en question montrent un esclave et sa fille, appelés Renty – qui serait l’arrière-arrière-arrière-grand-père de Lanier – et Delia, forcés à poser dénudés “sans dignité ni compensation”. Les daguerréotypes sont aujourd’hui conservés dans un des musées de l’université prestigieuse et sont connus pour être les premières images d’esclaves noirs.

L’ex-contrôleuse judiciaire du Connecticut, aujourd’hui retraitée, les accuse pour différentes raisons, notamment parce que l’université a publié un ouvrage (à 40 dollars), en 2017, sur le rôle de la photographie en anthropologie, portant en couverture une photo de Renty (ci-dessus). La plaignante a demandé à l’université de lui restituer les photos, ce qui lui a été refusé. L’établissement remet également en question sa descendance avec ces deux personnes.

Onze autres esclaves ont été pris en photo au même titre que Renty et Delia, ce jour-là. Toutes ces photos avaient disparu de la circulation jusqu’à ce qu’elles soient retrouvées dans un grenier à Harvard 126 ans plus tard. Une des photos de Renty est devenue par la suite emblématique de la souffrance des esclaves et était utilisée régulièrement.

Une plainte de 24 pages

Tamara Lanier s’exprime durant une conférence de presse annonçant son procès contre Harvard, le 20 mars 2019, à New York. Lanier a accusé Harvard de mauvaise saisie, possession et monétisation des photos de son arrière-arrière-arrière-grand-père Renty, un esclave noir, et de sa fille Delia. (© Kevin Hagen/Getty Images/AFP)

“Harvard perpétue la subversion systématique des droits des Noirs à la propriété. […] Harvard capitalise honteusement sur les dommages intentionnellement causés à la généalogie des Noirs américains par un siècle de politiques [de séparation des familles et d’effacement des noms de famille, ndlr]“, a-t-elle déclaré. Lanier souhaite que l’université reconnaisse ses torts et son passé. L’établissement est pour le moment resté silencieux face à sa plainte et n’a pas partagé de réponse publique.

D’après l’AFP, la plainte fait 24 pages et a été déposée par Tamara Lanier dans l’État du Massachusetts, aux États-Unis. Elle y réclame le remboursement des bénéfices réalisés grâce à ces photos, et des dommages et intérêts. “Pendant des années, les maîtres esclavagistes de ‘Papa Renty’ ont exploité sa souffrance. Il est temps que Harvard cesse de faire la même chose à ma famille”, a expliqué Lanier. “Ces images ont été prises sous la contrainte et Harvard n’a aucun droit de les conserver, et encore moins d’en tirer profit”, a déclaré son avocat Michael Koskoff à USA Today, “elles sont la propriété légitime des descendants de ‘Papa Renty’.”

Ce récent événement fait revivre à l’Amérique les sombres chapitres de son histoire, notamment les liens entre les grandes universités et l’esclavage. Un thème qui ne cesse d’être abordé dans la série Dear White People.