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Mysticisme et spiritualité, le duo Inka et Niclas se passionne pour les grands espaces

Mysticisme et spiritualité, le duo Inka et Niclas se passionne pour les grands espaces

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Par Aude Jouanne

Publié le

Icebergs roses, sculptures de branches totémiques et couchers de soleil surnaturels, les paysages photographiés par Inka Lindergård et Niclas Holmström, récemment primés du Swedish Book Art Award pour leur livre The Belt of Venus and the Shadow of Earth, convoquent mysticisme et spiritualité. Une quête en duo qui jette des ponts entre réalité physique et photographique.

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Depuis 2008, Inka Lindergård et Niclas Holmström font mentir les clichés. En premier lieu, l’adage selon lequel vie privée et vie professionnelle ne font pas bon ménage. Voilà bientôt dix ans que les deux photographes travaillent ensemble, explorent la moindre de leurs idées en binôme, s’enrichissent et se canalisent.

Jusqu’à ne plus savoir aujourd’hui, de leur propre aveu, comment faire autrement. Inka et Niclas ont en commun le goût des grands espaces, des sciences occultes, un attrait profond pour toutes les formes de mysticisme. Une même volonté, surtout, de détourner les images de cartes postales et les représentations conventionnelles de la nature.

Un travail main dans la main

Le couple se rencontre en 2005 dans le sud de la Suède. Tous deux sont étudiants en photographie. Le village où ils vivent est isolé et leurs appartements sont proches. Naturellement, ils commencent à passer beaucoup de temps ensemble. La connexion est artistique d’abord. Jusque tard dans la nuit, Inka et Niclas sélectionnent, retouchent et, ce faisant, développent une connaissance aiguë du travail de l’autre. Niclas nous confie :

“Inka est plus créative, elle ne s’impose aucune limite dans son travail. Je suis plus dans l’analyse. Nous restons toujours attentifs aux envies de l’autre, même si elles peuvent sembler bizarres à première vue. Nos meilleures photos découlent d’ailleurs souvent d’une idée un peu floue au départ. C’est ce qui est le plus intéressant dans le fait de travailler à deux, les idées se transforment, évoluent au contact de l’autre.”

Après l’obtention de leur diplôme, le binôme met de l’argent de côté et passe trois mois chez un ami en Tanzanie. La maison, érigée en plein milieu d’un champ de café, est équipée du minimum syndical avec un réseau électrique raccordé à une batterie de voiture, mais offre une vue spectaculaire sur le Kilimandjaro.

C’est là que leur projet prend forme, en photographiant chaque jour leur environnement, en explorant la moindre idée qui leur passe par la tête. De cette expérience, ils tirent un constat simple, en prise avec une tendance grandissante à l’époque : le besoin d’un retour à une nature vierge, brute, épargnée par le tourisme de masse.

Réinterpréter les normes esthétiques

Le duo commence par suivre et photographier des groupes de touristes, à étudier leurs attentes, à les accompagner lors de leurs explorations de sites, de paysages célèbres à travers le monde. Leurs recherches s’étendent progressivement aux standards qui déterminent la façon dont un phénomène naturel ou un paysage est représenté dans l’imaginaire collectif. L’uniformisation des images les frappe :

“Faites simplement une recherche d’images sur Internet avec les mots ‘plage’ ou ‘coucher de soleil’. Vous constaterez que les 100 premiers résultats se ressemblent énormément et présentent un certain nombre de caractéristiques esthétiques communes. Pour la recherche ‘coucher de soleil’, de nombreuses photos comportent un palmier ou un dauphin, ce qui sous-entend d’une certaine façon que la parfaite photographie de coucher de soleil doit contenir au moins un de ces deux éléments.”

Ces critères mis en lumière sont pour eux le point de départ d’une réflexion qui éprouve les stéréotypes esthétiques, analyse le flux constant d’images de nature normées qui alimentent le Web et les réseaux sociaux, et réinterroge l’acte photographique en lui-même. Le simple fait de prendre une photo participe pour eux à un rituel qui consacre le moment présent. Chacun de leur geste est envisagé comme une performance en accord avec le paysage photographié, les éléments naturels et l’appareil photo, que ce soit en jetant de la poudre dans le vent, en construisant une sculpture de branches, ou en illuminant des rochers avec des spots de couleur :

“La plus grosse partie de notre processus de création consiste à attendre les bonnes conditions pour photographier. Nous nous efforçons de faire en sorte que nos photographies soient toujours sur le fil, balançant entre le fantastique d’un côté et le romantisme exagéré de l’autre. Nous aimons aussi donner tous les indices, que ce soit très précis, littéral, clairement énoncé, mais que, malgré tout, le spectateur reste perplexe face à ce qu’il voit.”

Réalité physique et photographique

La part de hasard qui s’invite dans leur pratique photographique est intrinsèquement liée à leur fascination pour une forme de mysticisme émergeant de la nature. Des légendes nordiques jusqu’aux croyances païennes, de la culture populaire contemporaine jusqu’aux cartes postales des boutiques de souvenirs, les images créées par le duo imbriquent l’esthétique des rituels spirituels avec les sciences occultes. Si l’appareil photo est pour eux un médium capable de véhiculer une vision mystérieuse et stylisée de la nature, c’est aussi et surtout le moyen de créer un lien entre réalité physique et réalité photographique :

“C’est un sentiment tellement incroyable quand tous les éléments se mettent parfaitement en place de façon naturelle. Le résultat dépasse généralement tout ce que nous avions pu imaginer. L’acte même de prendre une photo, ce moment de pose est fascinant. Tout se passe vraiment au moment où nous appuyons sur le déclencheur.”

Inka et Niclas travaillent uniquement la qualité de rendu de leurs images en postproduction. Nul montage, nul ajout de couleurs ou d’éléments dans le cadre qui n’y étaient naturellement : l’effet surnaturel de leurs photos est uniquement le résultat d’un travail méticuleux de mise en scène. Si les deux photographes reconnaissent et s’amusent de cette ambiguïté, ils insistent néanmoins pour que la lecture de leur travail n’en soit pas altérée. Et d’assurer : “Si nos photos étaient retravaillées, cela voudrait dire que tout notre processus, ce moment de magie entre nous, la scène qui se joue et l’appareil photo n’aurait aucune raison d’être.”

Vous pouvez les suivre sur Instagram et acheter leur livre ici.