Paradise Inn, la série sur les lieux abandonnés du tourisme grec

Paradise Inn, la série sur les lieux abandonnés du tourisme grec

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Par Joséphine Faisant

Publié le

Originaire de Crète, le photographe Marinos Tsagkarakis nous fait visiter les paradis abandonnés de l’empire déchu du tourisme grec à travers sa série de photos Paradise Inn.

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Du grec ancien παράδεισος, qui signifie “jardin, espace clos”, le mot “paradis” est par définition un endroit isolé. Un isolement enchanté revendiqué par les palais touristiques. Leurs habitants éphémères viennent entre ces murs trouver une parenthèse irréelle aux milles plaisirs.

Ces paradis artificiels se développent partout dans le monde, en massacrant souvent l’environnement autour. L’industrie touristique est juteuse et croît aussi vite que nos désirs de consommation se multiplient.

Toutefois, ces lieux, malgré leur apparence irréelle, n’échappent pas aux catastrophes naturelles ou économiques. Les photos de Marinos Tsagkarakis mettent en lumière un paradoxe intéressant entre la froideur que dégagent l’abandon de ces lieux et les reliques de divertissements estivaux qui résistent au fléau du temps.

Collection de décors, miroirs de la situation économique

Marinos Tsagkarakis fait partie du collectif de photographes grecs Depression Era, qui travaille autour de la question des transformations économiques et sociales que subit le pays. Ils créent une mosaïque de séries photographiques, montrant le phénomène de crise sous différents angles. Des clichés qui dénotent avec les images médiatiques habituelles. Paradise Inn est un des projets artistiques de Depression Era.

Avec un cursus universitaire mêlant études économiques, administratives et financières, le tout agrémenté de cours dans une école de photographie contemporaine, Marinos Tsagkarakis est particulièrement sensible à l’écho qui résonne entre les paysages abandonnés et la crise de son pays.

Le photographe crétois explique qu’il est attiré par ces décors fantômes. Ils sont nombreux en Grèce et témoignent d’une sombre réalité, mais le photographe nous les dévoile avec un œil cynique qui rend l’absurdité du phénomène tristement amusante.

Outre la crise économique grecque, les photos de Paradise Inn proposent un nouveau regard sur l’industrie du tourisme. Marinos Tsagkarakis dévoile l’envers du décor de la consommation de masse. À la poursuite de la satisfaction des clients, les lieux touristiques se métamorphosent sans cesse pour répondre aux nouveaux désirs et loisirs. Une métamorphose parfois trop grandiose qui mène à l’abandon des lieux.

Une version moderne du mythe d’Icare

L’attirance de l’homme pour les excès est au cœur du paradoxe de ces vestiges touristiques. À force de courir après les désirs et surtout les dépenses des voyageurs toujours plus exigeants, les propriétaires des lieux touristiques jouent avec le feu et se brûlent parfois les ailes. La comparaison avec la mythologie grecque est tentante. Icare, fils de Dédale, est mort après avoir volé trop près du soleil, qui a fait fondre ses ailes.

Concernant les paradis artificiels de Marinos Tsagkarakis, on ne sait pas si les pères architectes avaient pu prévenir la menace qui planait au-dessus de cette surenchère du loisir et de la consommation. En revanche, leurs édifices, délabrés mais robustes, incarnent aujourd’hui de véritables reliques d’une euphorie lointaine.

L’amour du photographe pour ses terres d’enfance

Marinos Tsagkarakis nous explique que les premières photos de ce projet, datant de 2012, ne s’inscrivaient pas dans une démarche spécifique. À cette époque, il traversait une période intensément créative. C’était comme une obsession : il voulait capturer le plus d’images possible de ce jargon visuel composé par les paysages crétois.

Seule sa fascination et son envie de photographier l’esthétique débordante et insolite des décors de Crète sont à l’origine de cette série. Tout est une question de processus, sensoriel et artistique, selon le photographe : c’est la source de sa passion pour la photographie.

Du déballage de la pellicule jusqu’à son développement, en passant par la longue attente de la bonne lumière qui enivrera son objectif, il ne saurait prévoir ce que ses clichés donneront. La démarche du photographe est donc au départ purement esthétique, comme la poursuite d’une pulsion créatrice et instinctive.

Ainsi, l’angle touristique est venu bien après, quand le photographe a constaté au fil de ses clichés une récurrence. Une idée qu’il a ensuite approfondie en revenant sur les lieux pour faire de nouvelles images, et en enrichissant la thématique avec ses propres connaissances et recherches.

Le photographe faisait alors de nombreux allers-retours entre Thessalonique (ville du nord de la Grèce) et sa terre natale afin d’étoffer sa collection. Il savait à chaque fois où aller pour dénicher de nouveaux fantômes touristiques.

Ruines du kitsch ou icônes folkloriques ?

Au fil des années, les photos de Paradise Inn ont pris une dimension sociale : cette série est devenue une critique alarmante des conséquences du développement massif et incontrôlable de l’industrie touristique. En Grèce et dans l’Europe du Sud, les effets de ce tourisme de masse se constatent très volontiers sur les littoraux surplombés par des constructions grossières voire vulgaires.

Ces édifices impressionnants aux proportions démesurées sont riches en détails folkloriques. Ces structures flirtent toujours de très près avec le kitsch. Le patrimoine culturel local est souvent détourné en artifices déconcertants pour se fondre dans le moule de l’hyperconsommation. Cela peut parfois aller jusqu’à l’hystérie visuelle comme avec la déclinaison sur tous supports des figures antiques grecques.

Le décor est poussé à l’extrême pour nourrir les yeux affamés des touristes, qui ne sont pourtant que de passage. C’est la spirale de l’éphémère : les constructions, les commerces, les affaires, les emplois, les rencontres. Rien n’est viable, tout est le fruit de l’illusion estivale. Une spirale qui brasse beaucoup d’argent et qui est de plus en plus rentable.

Toutefois lorsque la santé du pays est fragilisée et que l’inconscience des investisseurs s’accompagne de l’aveuglement des entrepreneurs, alors l’édifice s’effondre. Et là, c’est le moment de prendre de belles photos, en espérant que l’Icare qui réside en chacun de nous saura les voir.

La série Paradise Inn est compilée dans un ouvrage original avec illustrations et photos, disponible ici.

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