Pourquoi la couv’ de Vogue Portugal sur la santé mentale a-t-elle tant choqué ?

Pourquoi la couv’ de Vogue Portugal sur la santé mentale a-t-elle tant choqué ?

Image :

© Branislav Simoncik/Vogue Portugal

photo de profil

Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Sur le thème de la "folie", la une du numéro juillet/août 2020 de "Vogue Portugal" a fait polémique. On vous explique pourquoi.

Début juillet, l’édition portugaise de Vogue révélait son numéro estival sur le thème de la “folie” (“madness”). Quatre couvertures alternatives, photographiées par Branislav Simoncik, sont ainsi disponibles en kiosques mais l’une d’elles a plus fait couler d’encre que les autres.

À voir aussi sur Konbini

Sur la photo controversée, on voit la modèle Simona Kirchnerova, assise dans une baignoire, à l’air terrifié, entourée de deux infirmières dont l’une lui verse de l’eau sur la tête. La mannequin a précisé avec fierté que les deux autres femmes étaient sa mère et sa grand-mère : “Trois générations sur une couverture Vogue.” Cette scène de toilette quelque peu “archaïque” a été qualifiée de “trop cliché” et “glamourisante” pour représenter les problèmes liés à la santé mentale, et pour désigner les gens qui en souffrent.

Loin de la réalité

Cette scène ne ressemble a priori en rien aux hôpitaux psychiatriques actuels, et des internautes ont jugé que, pour un numéro qui se vante d’aborder avec sérieux la question de la santé mentale, cette une était très trompeuse. Au-delà de l’image, les lecteur·rice·s n’ont guère apprécié l’usage du terme “madness” (“folie”) pour renvoyer aux maladies mentales : il est réducteur et trop négativement connoté au sein de notre société.

“Ce genre de photos ne devraient pas servir à représenter un débat autour de la santé mentale. Je pense que c’est de mauvais goût !”, a commenté la modèle Sara Sampaio. “Promouvoir une esthétique autour de la santé mentale est très problématique. Ce n’est pas une mode. Et je ne parle même pas de l’histoire des femmes et des maladies mentales. Il y a des centaines d’histoires d’abus dans lesquelles les femmes étaient les plus vulnérables”, a rappelé la psychologue Katerina Alexandraki au Guardian.

La couverture de “Vogue Portugal” qui a créé la polémique, juillet-août 2020, “Madness Issue”. (© Branislav Simoncik/Vogue Portugal)

Dans le tweet qui dévoilait les différentes couvertures, Vogue Portugal a justifié son numéro ainsi : “C’est à propos d’amour. C’est à propos de vie. C’est à propos de nous. C’est à propos de vous. C’est à propos de la santé. C’est à propos de la santé mentale. #TheMadnessIssue. Il est temps.”

Rappelons que ce n’est pas la première fois que le monde de la mode s’empare d’un tel sujet en le traitant de manière problématique. Lors de la Fashion Week de Milan, en septembre 2019, Gucci avait présenté une collection entière inspirée des camisoles de force. Une des mannequins, Ayesha Tan-Jones, avait protesté en plein défilé en inscrivant dans ses paumes : “La santé mentale n’est pas une mode.”

L’une des quatre couvertures alternatives pour le numéro “Madness Issue”, juillet-août 2020, de “Vogue Portugal”. (© Branislav Simoncik/Vogue Portugal)

Le photographe répond à la polémique

Si la modèle et la publication n’ont pas tenu à répondre à la polémique, le photographe Branislav Simoncik, qui a shooté les quatre couvertures, a tenu à partager ses sentiments sur son compte Instagram. L’artiste d’origine slovaque revient sur la controverse en évoquant la pression qu’il a vécue : beaucoup d’internautes et de lecteur·rice·s lui ont demandé de retirer sa photo de ce numéro.

Ce dernier a rappelé qu’il condamnait toute discrimination envers les personnes atteintes de maladie mentale et que son intention n’était pas de simplifier un sujet si complexe ; son intention était d’ouvrir le débat autour d’un sujet encore tabou.

“Dans le pays où je suis né, ils mettent les gens en prison parce qu’ils sont en désaccord avec la culture officielle de l’État. Le régime totalitaire dans lequel j’ai grandi intimidait celles et ceux qui voulaient faire entendre leurs opinions, et la dissidence n’était pas simplement une liquidation sociale mais aussi de son existence. Selon moi, le pouvoir de l’art réside dans la possibilité de changement. L’art ne devrait pas blesser, attiser la haine ou la discrimination, et ne devrait pas être utilisé comme un instrument de déshumanisation. […]”

“J’ai moi-même beaucoup de membres de ma famille qui ont vécu des moments difficiles en hôpital psychiatrique, en Slovaquie, […] où l’édito a été shooté. Je ne voulais pas encourager la stigmatisation des patients, fétichiser ou glorifier les pratiques d’antan”, écrit-il en assurant s’être inspiré de faits historiques et d’anciennes photos d’institutions psychiatriques pour dépeindre au mieux ce monde, avec un esprit critique et non seulement esthétique.

“Est-ce si mauvais de lever le voile sur les échecs du passé ? Sur les pratiques inhumaines qui menaient souvent à la dégradation et à la dévastation absolues d’un individu ?”, déclare-t-il en s’excusant auprès des personnes qu’il a pu heurter. “Si cette photo et la discussion qu’elle a ouverte ont contribué à augmenter l’intérêt pour les problèmes de santé mentale, et si cette polémique a aidé au moins une personne, cela valait le coup”, conclut-il de manière maladroite.

L’une des quatre couvertures alternatives pour le numéro “Madness Issue”, juillet-août 2020, de “Vogue Portugal”. (© Branislav Simoncik/Vogue Portugal)

L’une des quatre couvertures alternatives pour le numéro “Madness Issue”, juillet-août 2020, de “Vogue Portugal”. (© Branislav Simoncik/Vogue Portugal)