Prix Bayeux-Calvados : l’enfer des boat people, réfugiés en Libye

Prix Bayeux-Calvados : l’enfer des boat people, réfugiés en Libye

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Dans le cadre de son rendez-vous annuel autour de la photographie de guerre et du photo-journalisme, le Prix Bayeux-Calvados a exposé le travail d’Édouard Élias, photographe français et également membre du jury de ce festival. Sa série Les Boat-People de la Grande Bleue, exposée au Radar à Bayeux jusqu’au 9 octobre, revient sur l’enfer vécu au quotidien par des milliers de réfugiés africains en Libye, qui tentent de migrer en Italie par le canal de Sicile, seule route maritime encore “ouverte” en Méditerranée centrale. Des photos poignantes, accompagnées de témoignages qu’on peut lire tout au long de notre visite.

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La route

Au fur et à mesure que les routes et les mers d’Europe se ferment, la misère ne fait que croître pour les réfugiés qui ont encore l’espoir de se forger un avenir dans cet Eldorado. On appelle “boat people” les migrants africains et noirs qui passent par la Libye, connue comme étant “le piège des migrants” et la route la plus dangereuse. Être noir en territoire libyen, venir de Somalie, du Sénégal ou de Guinée, c’est vivre un calvaire : enlèvements, racket, emprisonnements dans des conditions inhumaines, fusillades, viols, la faim, et surtout la peur…

En sachant qu’ils n’ont aucune chance d’arriver de l’autre côté, ces hommes, ces femmes et ces enfants embarquent pour fuir la guerre et les conflits dans des canots pneumatiques “made in China” de 10 mètres de long, sur lesquels ils se tassent à 120. Depuis le 25 février dernier, un navire est venu se planter dans l’horizon des côtes libyennes : l’Aquarius, un bateau de sauvetage civil surmonté de la mention criarde “SOS MÉDITERRANÉE”, nom de l’ONG toute jeune tenue par un capitaine allemand, qui a pour seul objectif altruiste d’agir indépendamment et de sauver des vies.

Noir et blanc

Secourir et photographier les boat people, c’est leur donner une voix et témoigner en images de ce qui se passe au milieu de cette mer bleue dont on ne peut qu’imaginer la couleur. Édouard Élias a choisi le noir et blanc, qui contraste tous les éléments antithétiques du paysage : il y a le ciel et la mer, il y a les pneumatiques blancs et les migrants noirs naviguant à bord, il y a l’Aquarius blanc aux lettres noires SOS, et bien sûr il y a l’envie de dépeindre une sombre épopée.

À travers une démarche documentaire, ces photos révèlent la réalité des sauvetages de ces personnes qui risquent la mort par noyade, qui quittent tout, sans emporter ni eau ni nourriture, en se tenant compagnie avec un téléphone portable. On voit ces migrants entassés sur des bateaux, dans des bus, par terre ou sur des brancards, le regard fort et soutenu, chargé d’émotion, observant parfois l’horizon comme pour respirer un coup.

Bien qu’il les photographie par centaines et que leurs destins soient liés, Édouard nous montre que l’homme est seul face à la mer, seul face à son histoire. La visite de l’exposition est scandée de témoignages de migrants, recueillis individuellement. Les réfugiés, hommes et femmes, qui se sont confiés à Édouard, sont unanimes : la Libye et sa traversée sont un enfer à ciel ouvert. D’anecdotes sordides en souvenirs traumatisants, ils n’ont, à vrai dire, pas eu le choix. Au cœur de ces images de masses, ce photographe s’attache souvent à ne saisir qu’un sujet, qu’un regard, pour le faire exister à part entière et porter sa voix jusqu’à nous.