Qu’est-ce que le purikura, ce photomaton des jeunes Japonais qui survit au selfie ?

Qu’est-ce que le purikura, ce photomaton des jeunes Japonais qui survit au selfie ?

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Par Victoria Beurnez

Publié le

Plongée dans l'univers du kawaii.

Debout devant un long miroir, deux lycéennes en uniforme ajustent leur coiffure. Plus loin, des étudiantes retouchent leur maquillage. Dans ce sous-sol d’un grand magasin du quartier branché de Shibuya à Tokyo, elles attendent leur tour pour prendre un purikura.

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Véritable phénomène de société de la fin des années 1990 au Japon, cette sorte de photomaton augmenté fête ses 25 ans et reste populaire dans l’archipel, malgré la concurrence des smartphones et de leurs selfies, dont il est l’ancêtre. À la différence des photomatons ordinaires, les purikura, abréviation japonaise de “print club”, permettent de prendre des photos à plusieurs, les retoucher, les agrémenter de décorations ou encore écrire dessus avec un stylet.

Voilà à quoi ça ressemble :

“Pour nous, c’est un élément indispensable du quotidien”, explique Nonoka Yamada, une lycéenne de 17 ans. “Toutes les filles de ma classe en font. […] Cela permet d’avoir l’air kawaii [mignon], de transformer son visage”, ajoute-t-elle.

Selon Yuka Kubo, chercheuse indépendante étudiant le phénomène depuis plusieurs années, l’attrait du purikura auprès des jeunes Japonaises est un héritage de la tradition picturale nippone, où “le visage que l’on montre et qui exprime son individualité n’est paradoxalement pas celui que l’on a, mais celui que l’on crée”.

Ainsi dans le bijin-ga (peintures de belles personnes), l’un des grands courants de l’ancien art pictural japonais, “ce n’est pas le vrai visage de ces beautés qui est représenté, il est maquillé en blanc et déformé, jusqu’à en être méconnaissable”, explique-t-elle à l’AFP.

Au gré des modes

Le marché du purikura a culminé en 1997 avec 101 milliards de yens de recettes (l’équivalent à l’époque de 689 millions d’euros), selon l’Association japonaise de l’industrie du divertissement (JAIA). Son déclin a ensuite été accéléré par l’arrivée des premiers téléphones portables avec appareils photo intégrés. En 2018, il ne pesait plus que 23,9 milliards de yens (190 millions d’euros).

Il existait encore environ 10 000 purikura au Japon en 2018, cinq fois moins qu’en 1997, selon la JAIA. Bien que moins visibles, ces machines ont continué à trouver leur public, en s’adaptant aux modes, elles-mêmes inspirées par les avancées technologiques.

Des fonctions rudimentaires de retouche apparaissent dès 1998. La reconnaissance faciale, introduite en 2003, permet de se concentrer sur certaines parties du visage, lançant notamment “la mode des yeux énormes”, raconte Kubo. À partir de 2011, “la technologie permet de retoucher plus finement les visages” pour avoir “meilleure mine, la peau lisse, le visage plus allongé”.

Ces dernières années, le purikura tente surtout de faire valoir sa complémentarité avec les smartphones et les réseaux sociaux et de se démarquer du selfie, en vantant l’expérience conviviale d’une séance photo à plusieurs. Les machines proposent de télécharger les photos et ainsi, de les poster sur les réseaux sociaux. “Les filles se filment aussi avec leur portable pendant la séance et mettent la vidéo sur Instagram, pour partager toute l’expérience”, relève Mme Kubo.

Le retour de Sega

L’une des raisons du succès durable du purikura est qu’il “a toujours été un moyen de communication”, estime la chercheuse. Dans les années 1990, “il n’y avait pas de réseaux sociaux, mais les filles découpaient la planche de seize photos qui sortait de la machine, en collaient une partie dans un cahier spécial et se promenaient avec le reste, qu’elles se montraient et s’échangeaient”, comme une version analogique des photos sur les réseaux sociaux d’aujourd’hui.

Comme toute l’industrie du divertissement, les purikura ont subi l’impact de la pandémie de coronavirus. Les salles de jeux d’arcade, où ces appareils sont souvent installés, avaient dû fermer entre avril et mai sous l’état d’urgence au Japon et maintenant, le secteur tente de rassurer sa clientèle.

“Nous avons pris des mesures d’hygiène, en mettant du gel désinfectant à l’entrée ou en raccourcissant les rideaux des cabines pour faire circuler l’air. Et les clientes sont déjà de retour, plus vite encore que nous le pensions”, assure Yuki Hikita, porte-parole du fabricant de purikura Furyu. Le groupe Sega, l’un des pionniers des purikura, a récemment annoncé qu’il allait lancer cet automne une nouvelle machine, sa première depuis une vingtaine d’années.

Konbini avec AFP.