En quête de l’identité noire en Europe, un artiste a photographié le continent

En quête de l’identité noire en Europe, un artiste a photographié le continent

Image :

© Johny Pitts

photo de profil

Par Lise Lanot

Publié le

Johny Pitts est parti à la rencontre de "hooligans racistes, de Black Panthers, de nazis russes et de militants noirs français".

Pendant cinq mois, Johny Pitts a traversé l’Europe dans le but d’écrire un “récit non-fictif” accompagné de photographies prises sur son chemin des gens qu’il rencontrait, des Européen·ne·s noir·e·s, comme lui. L’idée de ce voyage quasi initiatique avait germé en lui à l’adolescence, alors qu’il était dans un train de sa région, au centre de l’Angleterre. Un homme l’avait pris pour quelqu’un d’autre, “un autre métisse avec une coupe afro” qui allait vers Francfort.

À voir aussi sur Konbini

Penser à ce double, un voyageur inconnu, lui ouvrit un nouveau champ des possibles qui dépassait la division entre “la classe ouvrière blanche et paroissiale du Nord de l’Angleterre”, du côté de sa mère, et “la culture hip-hop ghettoïsée afro-américaine”, venant de son père. “J’ai commencé à chercher des réponses quant à mon identité européenne en lien à mon expérience d’être noir”, rapporte-t-il. Le problème, ajoute-t-il, c’est que “rien autour de [lui] ne résonnait à ce sujet”.

“Château Rouge”, Paris, photo tirée de la série “Afropean”. (© Courtesy Johny Pitts)

C’est pour partir en quête et donner corps à cette communauté afropéenne” que Johny Pitts a traversé de nombreux pays d’Europe. De son voyage, il a rapporté “plus de 200 000 mots et 10 000 images”. Le résultat, “Afropean: Travels in Black Europe”, est actuellement exposé au musée néerlandais Foam.

“Ce voyage m’a fait entrer en contact avec des vagabonds égyptiens, des Portugais des favelas, des hooligans racistes, des Black Panthers, des anarchistes allemands, des nazis russes et des militants noirs français pendant que je bourlinguais dans des trains européens, à la recherche d’un autre côté du continent et de réponses à mon identité mélangée.”

En France, l’artiste s’est notamment rendu à Paris et à Clichy-sous-Bois, là où les adolescents Zyed Benna et Bouna Traoré sont décédés des suites d’une électrocution dans un poste électrique dans lequel ils s’étaient réfugiés pour échapper à une course-poursuite de la police. Le tragique accident, loin d’être une exception, avait enclenché une série d’émeutes en 2005. Johny Pitts dresse ainsi également une carte sociale et politique de ce que signifie être noir·e en Europe au XXIe siècle.

“Zyed Benna et Bouna Traoré”, Clichy-sous-Bois, Paris, photo tirée de la série “Afropean”. (© Courtesy Johny Pitts)

Constituer une mosaïque afropéenne

De cette quête initiatique, Johny Pitts a tiré le terme d’afropéen, usité depuis les années 1990. Ce choix est autant réfléchi qu’instinctif. Il s’agissait, pour une fois, de ne pas se laisser définir par une expression composite, raccrochée par un tiret mais de choisir un mot portemanteau, qui insinue un sentiment “d’unité née de la dualité”.

Le noir et blanc des photographies de l’artiste leur confère une puissance intemporelle, une valeur testimoniale autant qu’esthétique. Au gré de ses rencontres, le fond a rejoint la forme et Johny Pitts a créé un projet fort et fédérateur :

“Ces fragments éparpillés d’expériences afropéennes ont formé une mosaïque dans mon esprit […]. La réalité afropéenne était un bricolage de ce qu’être noir signifie, j’ai connu une Afrique qui était autant à l’intérieur que venant de l’Europe.” 

“H&M”, Bern, photo tirée de la série “Afropean”. (© courtesy Johny Pitts)

“New Europe”, Londres. photo tirée de la série “Afropean”. (© courtesy Johny Pitts)

L’exposition “Afropean: Travels in Black Europe” de Johny Pitts est visible au musée Foam jusqu’au 1er novembre 2020.