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Le quotidien difficile des Afro-Américains dans les années 40 immortalisé par Gordon Parks

Le quotidien difficile des Afro-Américains dans les années 40 immortalisé par Gordon Parks

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© Gordon Parks

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Retour sur l'un des premiers photographes afro-américains influents, qui luttait pour la justice sociale et les droits civiques.

Sans être un·e grand·e connaisseur·se de photographie et sans même le savoir, vous avez forcément déjà vu des œuvres de Gordon Parks quelque part. Et si ce ne sont pas ses œuvres à lui, vous êtes forcément tombé·e·s, au détour d’un clip de rap, sur une image qui s’en inspirait. Les clips de Kendrick Lamar, réalisés par The Little Homies, regorgent de références à l’œuvre photographique de Parks. Preuve en est avec cette exposition réunissant leurs deux univers, qui a eu lieu à New York en 2018.

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C’est au tour du Amon Carter Museum of American Art de rendre hommage à cet illustre photographe qui a (entre autres) documenté les années 1940 et les conditions de vie des Afro-Américain·e·s, à travers une exposition. “Gordon Parks : The New Tide, Early Work 1940-1950” couvre cette décennie pour la première fois. 

“Logements résidentiels”, Chicago, 1950. (© Gordon Parks/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

Une figure activiste importante dans le mouvement des droits civiques

Né en 1912 dans le Kansas et mort en 2006 à New York, Gordon Parks est connu pour ses photographies dépeignant le quotidien de la communauté afro-américaine à une ère profondément raciste. Il est aussi l’auteur d’un des plus grands succès de blaxploitation des années 1970, mettant en scène le personnage du détective John Shaft. Un an plus tôt, il avait d’ailleurs sorti le premier film hollywoodien écrit et réalisé par un Afro-Américain, intitulé Les Sentiers de la violence et adapté de sa propre autobiographie.

“Des garçons regardent à travers une vitre de voiture”, Harlem, août 1943. (© Gordon Parks/Photographs and Prints Division, Schomburg Center for Research in Black Culture/The New York Public Library, Astor, Lenox and Tilden Foundations/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

C’est en 1937, à l’âge de 25 ans, que Parks fait ses premiers pas en autodidacte dans la photo. Benjamin d’une famille de 15 enfants et ayant perdu sa mère alors qu’il n’avait que 15 ans, il se détourne du système scolaire à cause de la ségrégation raciale qui gangrène le pays. À ses débuts, il s’installe à Chicago pour faire des portraits de personnalités et des photos de mode. “Un gars qui tente sa chance, qui fait la distinction entre le connu et l’inconnu, qui n’a pas peur de l’échec, réussira” était sa devise.

Plaçant le social au cœur de son travail, il documente par exemple les conditions de vie des Américain·e·s dans les zones rurales et pauvres pour la Farm Security Administration grâce à une bourse reçue en 1942 par la Fondation Julius Rosenwald. En 1949, il devient le premier photographe noir à travailler avec le magazine Life. Après la Seconde Guerre mondiale, il devient photojournaliste pour de belles publications telles que Fortune, Vogue, Glamour ou encore Ebony

“Ella Watson, une femme de ménage du gouvernement, avec ses trois petits-enfants et sa fille adoptive”, Washington, D.C., July 1942. (© Gordon Parks/Prints and Photographs Division, Library of Congress, Washington, D.C./Farm Security Administration/Office of War Information Photograph)

Son travail, produit dans les années 1940, est largement méconnu du grand public, et c’est de cette période exacte que le musée Amon Carter à Fort Worth (Texas) a voulu s’emparer à travers une exposition qui court jusqu’au 29 décembre 2019. L’auteur Richard Wright (Black Boy) disait que Gordon Parks faisait partie de “la nouvelle marée” (“the new tide”) d’activistes afro-américain·e·s se battant pour leurs droits en pleine ségrégation. Le nom de l’exposition rend ainsi hommage à cette expression.

“Professionnel accompli, il a dédié son art photographique finement travaillé à la lutte pour la justice sociale, créant un modèle pour les générations à venir”, précise John Rohrbach, le curateur photo du musée.

Des images rares 

Organisée en collaboration avec la National Gallery of Art de Washington et la Gordon Parks Foundation, l’exposition met à l’honneur toute l’étendue de son travail, aussi bien ses photos de mode que de rue. Quelque 150 tirages, livres, pamphlets, magazines et brochures de journaux sont réunis pour témoigner de l’influence qu’il a porté au XXe siècle. Le parcours se découpe en cinq grandes parties chronologiques.

“La femme de ménage du gouvernement”, Washington, D.C., juillet 1942. (© Gordon Parks/Prints and Photographs Division, Library of Congress, Washington, D.C./ Farm Security Administration/Office of War Information Photograph)

“A Choice of Weapons” (1940-42) retrace son entrée sur la scène artistique et ses influences très engagées. “Government Work” (1942) suit la communauté afro-américaine et la vie rurale qu’il a documentées au quotidien. C’est durant cette période qu’il s’est immiscé dans l’intimité d’Ella Watson, une femme noire qui nettoyait les bureaux du gouvernement. De cette rencontre ressort l’un de ses portraits les plus iconiques : “La femme de ménage du gouvernement”.

La section “The Home Front” (1942-43) présente les photos qu’il a prises pour l’Office of War Information, mettant en lumière des Afro-Américain·e·s toujours plus appauvri·e·s, vivant à Washington D.C. et New York. Il produit aussi une série de portraits des premiers pilotes militaires noirs. “Standard Oil” (1944-48) se concentre sur ses clichés pour la Standard Oil Company, dans le New Jersey où il a “documenté les nombreuses facettes de la production et de l’utilisation du pétrole au Canada et aux États-Unis”.

“Enfermé dans un immeuble abandonné à cause d’un gang rival dans la rue, Red Jackson pense à sa prochaine action”, 1948. (© Gordon Parks/National Gallery of Art/Washington, Corcoran Collection (The Gordon Parks Collection)/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

Et pour finir, “Mass Media” (1945-50) s’intéresse à toutes ses œuvres éditoriales, de la photographie de mode et de célébrités pour de grandes publications à des clichés plus lifestyle. C’est dans cette partie que nous voyons ses photos pour le magazine Life, dont “Harlem Gang Leader”, le portrait de Red Jackson qui lui a permis d’être embauché et de devenir le premier photographe noir de l’équipe. Parmi ses clichés de célébrités réalisés pour Life – maison avec qui il a collaboré pendant vingt ans –, nous retrouvons des sportifs, des musiciens, ou des politiciens comme Duke Ellington, Mohamed Ali, Malcolm X et Stokely Carmichael. 

À travers des monochromes intenses et spontanés, Gordon Parks témoigne aussi bien de scènes d’injustice sociale que de candeur enfantine, aussi bien des conditions de vie compliquées pour les Noir·e·s aux États-Unis que des instants de récréation. Deux images nous marquent particulièrement à l’écriture de cet article, celle de deux enfants noirs jouant avec une poupée blanche et celle d’un enfant noir ayant l’air de préférer la poupée blanche à la poupée noire qu’on lui tend.

“Sans titre”, Harlem, New York, 1947. (© Gordon Parks/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Les petits-enfants d’Ella Watson, une femme de ménage du gouvernement (enfants avec une poupée)”, Washington, D.C., juillet 1942. (© Gordon Park/Prints and Photographs Division, Library of Congress Washington, D.C./Farm Security Administration/Office of War Information Photograph)

“Une mère regarde ses enfants pendant qu’elle prépare le dîner”, Anacostia, projet d’immobilier D.C. Frederick Douglass, juin 1942. (© Gordon Parks/Miriam and Ira D. Wallach Division of Art, Prints and Photographs/The New York Public Library, Astor, Lenox and Tilden Foundations/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Deux garçons noirs frappent le marbre devant chez eux”, Washington, D.C. (sud-ouest), novembre 1942. (© Gordon Parks/The Museum of Fine Arts, Houston : acheté avec les fonds de Mundy Companies/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Une femme noire dans sa chambre”, Washington, D.C. (sud-ouest), novembre 1942. (© Gordon Parks/Photographs and Prints Division, Schomburg Center for Research in Black Culture/The New York Public Library, Astor, Lenox and Tilden Foundations/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Bateau à grain se remplissant de blé”, Port Arthur, Ontario, Canada, octobre 1945. (© Gordon Parks/George Eastman Museum, don de la Standard Oil Company/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Tout seul”, 1948. (© Gordon Parks/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Un tonnelier à l’usine de graissage Penola Incorporation, où de grands tambours et conteneurs sont reconditionnés”, Pittsburgh, Pennsylvanie, mars 1944. (© Gordon Parks/Prints and Photographs Division, Library of Congress, Washington, D.C./Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Une jeune fille vivant près du Capitol”, Washington, D.C., juin 1942. (© Gordon Parks/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Sans titre” (Inauguration de Luis Muñoz-Marín)”, Porto Rico, janvier 1949. (© Gordon Parks/Philadelphia Museum of Art : acheté avec les fonds rassemblés pour Magda Krauss, 2001/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Le coin de Deacon à l’église God in Christ”, Washington, D.C., novembre 1942. (© Gordon Parks/Prints and Photographs Division, Library of Congress, Washington, D.C./Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Mendiant sur la 7e rue”, Washington, D.C., août 1942. (© Gordon Parks/Roy E. Stryker Papers, Photographic Archives, University of Louisville/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Un ‘dessinateur de charbon’ aide un camion de charbon. Son nombre d’allées et venues par jour détermine son salaire”, Harlem River, New York City, novembre 1946. (© Gordon Parks/Standard Oil (New Jersey) Collection/Photographic Archives, University of Louisville/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“The People’s Voice”, Harlem, New York, août 1943. (© Gordon Parks/Photographs and Prints Division, Schomburg Center for Research in Black Culture/The New York Public Library, Astor, Lenox and Tilden Foundations/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Autoportrait”, 1941. (© Gordon Parks/collection privée/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Un jeune garçon se tient debout sur le seuil de sa porte, à Seaton Road dans le Nord-Est. Sa jambe a été arrachée par une voiture alors qu’il jouait dans la rue”, Washington, D.C., juin 1942. (© Gordon Parks/Courtesy of and copyright The Gordon Parks Foundation)

“Gordon Parks : The New Tide, Early Work 1940-1950”, exposition au Amon Carter Museum of American Art, à Fort Worth (Texas, États-Unis), visible jusqu’au 29 décembre 2019.