Rencontre : l’après-cancer du sein raconté en images par Camille Ropert

Rencontre : l’après-cancer du sein raconté en images par Camille Ropert

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Par Lisa Miquet

Publié le

Pour montrer que le quotidien peut reprendre son cours malgré la maladie, Camille Ropert est partie à la rencontre de personnes qui ont été atteintes d’un cancer du sein.

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Pour son projet Reprendriez-vous bien un peu de thé, Camille Ropert s’est intéressée aux personnes qui ont été atteintes d’un cancer du sein et sont aujourd’hui en rémission. Choisissant de centrer son travail sur la reconstruction psychologique et physique, elle est partie à la rencontre de femmes touchées par la maladie, afin d’échanger sur leurs difficultés, leurs changements de vie et de perception sur leur propre corps. Après avoir enregistré plusieurs heures de discussions, la photographe a décidé de retranscrire leurs histoires à travers une série de mises en scène. Un sujet nécessaire, assez peu abordé en images, alors qu’il touche malheureusement une femme sur huit. Nous avons rencontré Camille Ropert qui nous a parlé de ce projet engagé, qui questionne l’image de la femme.

Cheese : Est-ce que tu peux nous présenter ton projet ?
Camille Ropert : J’ai rencontré une dizaine de personnes qui ont été atteintes d’un cancer du sein, je me suis intéressée à leur reconstruction physique et psychologique. Mon travail est surtout axé sur l’après-cancer, les choix que font les personnes pour se réapproprier et leur corps et leur quotidien.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de mettre en images ce sujet ?

Je pense qu’au-delà de la maladie, c’est d’aller à la rencontre des gens, de rentrer dans leur intimité et de voir comment ils interagissent. Comment ça se passe au sein de la famille quand il y a des obstacles qui viennent chambouler le quotidien et de quelles façons les gens savent rebondir chacun à leur manière.

Pourquoi as-tu voulu te focaliser sur la période de l’après-cancer ?
Tout le monde s’accorde à dire que quand le corps médical se retire, il n’y a pas forcément de suivi derrière, ce qui est assez compliqué à vivre. Quand on apprend la maladie, on est pris dans une sorte de tourbillon : il y a des traitements à suivre, il y a un quotidien qui se met en place et puis du jour au lendemain on vous dit : “Vous êtes en rémission, mais ça ne veut pas dire que vous êtes guéri. Là aujourd’hui ça va bien, mais peut-être que ça va repartir…” Ces femmes ont donc immédiatement l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête et ne sont plus accompagnées. C’est là qu’intervient la reconstruction physique et psychologique et c’est ça qui m’intéressait.

La reconstruction psychologique passe-t-elle nécessairement par la reconstruction physique ?
Non, pas forcément ! Beaucoup de femmes m’ont dit que le corps médical poussait à la reconstruction, dans un but de retrouver une “féminité”. Avec mes images, j’ai tenté de casser les codes esthétiques de ce que devrait être le corps d’une femme. On a une vision très stéréotypée de la féminité : il faut avoir deux seins, une belle courbe… Je pense sincèrement qu’une femme peut être tout aussi jolie en étant différente. Je ne suis évidemment personne pour juger du choix de chacune, je suis seulement là pour exposer une diversité de choix personnels.

Alors que le sujet touche une femme sur huit, on ne voit que des femmes à la poitrine parfaite dans les médias ou dans les publicités… C’était important pour toi de montrer que d’autres corps existent ?
Oui, vraiment, c’est une proposition d’une autre forme d’esthétique. Je montre le corps, mais aussi l’univers de la personne. Pour moi, c’était important de fusionner les deux, pour qu’on ne voie pas seulement un corps, mais une entièreté. Il fallait qu’on voie la personnalité qu’il y avait derrière ce corps et arrêter de ne voir que l’enveloppe corporelle. Ça questionne l’image de la femme dans notre société et c’est une forme d’engagement féministe.

Comment est-ce que tu as rencontré toutes ces personnes atteintes du cancer du sein ?
Soit par bouche-à-oreille, parce que malheureusement on connaît tous quelqu’un qui a été malade, ou qui est malade. Mais j’ai aussi posté des messages sur les réseaux sociaux, car je tenais vraiment à parler des personnes qui avaient fait le choix du tatouage. Il y a eu aussi le rôle des cliniques et des hôpitaux ; j’ai pu rencontrer des oncologues, des psychologues… J’ai eu la chance de m’entretenir avec eux et d’avoir un avis médical et une approche sur l’après-cancer.

Est-ce que tu as pu observer des similitudes entre les différentes histoires ?
Si elles sont toutes atteintes du même cancer, chaque histoire est vraiment atypique. Par contre, ce qui est commun entre toutes, c’est la volonté de vivre. Il y a un instinct de survie qui se dégage qui est très touchant.

Est-ce que réaliser ce projet a changé ton regard sur le cancer ?
C’est compliqué de répondre à cette question, car ça fait deux ans que je travaille beaucoup sur ce sujet, je ne suis pas sûre d’avoir beaucoup de recul. C’est une thématique qui est devenue bizarrement commune, et qui du coup ne me fait plus peur. J’ai conscience que c’est un danger énorme, qui tue encore des gens, mais c’est aussi un cancer qui se guérit de mieux en mieux. Je ne sais pas comment je réagirais si demain ça m’arrivait, mais je sais que ces femmes seraient une vraie source d’inspiration pour moi.

Ton travail est à mi-chemin entre mise en scène, photographie artistique et photographie documentaire. À quel domaine as-tu l’impression d’appartenir ?
À la base, je m’inscris plutôt dans la démarche documentaire. Je pense que c’est vraiment l’essence de mon travail. Après, forcément, il est imprégné d’un côté artistique parce que je réalise aussi et que je mets en scène. Je suis assez tatillonne sur les éclairages et la symbolique des couleurs, etc. Mais c’est vrai que même si je soigne l’esthétique, le projet reste avant tout documentaire.

Quelle est la suite du projet pour toi ?
Aujourd’hui, le but est de rendre ce projet public ; je vais exposer à Andernos près de Bordeaux dans le cadre d’octobre rose. Ce qui serait vraiment primordial pour moi, serait de pouvoir être exposée dans les villes où j’ai rencontré les personnes qui ont participé au projet, pour qu’elles puissent toutes venir le voir. C’est-à-dire Paris, Angers, Lille et Bordeaux. Mais aussi participer à des festivals de photographie qui pourraient me permettre de parler de cette thématique au plus grand nombre.

Vous pouvez retrouver le travail de Camille Ropert sur son site personnel, sa page Facebook et son compte Instagram.