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Rencontre : des personnes atteintes de poliomyélite photographiées nues par Bernat Millet

Rencontre : des personnes atteintes de poliomyélite photographiées nues par Bernat Millet

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© Bernat Millet

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Par Lise Lanot

Publié le

Le photographe espagnol propose une série touchante et bienveillante afin de sensibiliser à la poliomyélite.

La mère de Bernat Millet est atteinte de poliomyélite, une maladie virale contagieuse qui “envahit le système nerveux” et peut provoquer “des paralysies irréversibles”. La seule prévention efficace contre la maladie est un vaccin, universalisé à la fin des années 1980 sous le contrôle de l’Organisation mondiale de la santé.

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Selon le photographe espagnol, la “société européenne considère que la poliomyélite est éradiquée”. Pourtant, des adultes souffrent encore de cette maladie qui paralyse leurs membres. Le plus souvent, ils doivent prendre des traitements et subir de lourdes interventions chirurgicales qui déforment leurs membres et laissent de grandes cicatrices.

“Poliomyelitis”. (© Bernat Millet)

Afin de sensibiliser toutes celles et ceux qui connaissent mal cette maladie, Bernat Millet a immortalisé des dizaines de personnes souffrant de la poliomyélite. Il a fallu beaucoup de confiance et de dialogue entre l’artiste et ses modèles, puisqu’il les a photographié·e·s nu·e·s. Les malades se montrent à découvert, avec courage et détermination, pour un projet fort et collectif. Nous avons rencontré Bernat Millet, afin qu’il nous en dise plus sur sa série.

Konbini arts : Qu’est-ce qui t’a fait commencer ta série Poliomyelitis ?

Bernat Millet : Ma mère. Elle est le point de départ et la base du projet Poliomyelitis. Ma mère est atteinte de la poliomyélite depuis ses 18 mois. J’ai vu à quel point la maladie perturbait sa vie quotidienne ; ses barrières et conséquences invisibles que la société ne voit pas ; le contrecoup de la polio causé par les chirurgies et le traitement orthopédique ; les cicatrices ; le déséquilibre des extrémités du corps.

La détérioration du corps causée par les effets tardifs de la maladie est appelée “syndrome de post-poliomyélite”. Je voulais montrer les corps qui se cachent derrière les vêtements, libérer les peurs et les traumatismes, afin de présenter ces personnes avec respect et courage.

“Les traitements font partie de l’histoire du malade, ses cicatrices dressent une cartographie de sa mémoire.”

“Poliomyelitis”. (© Bernat Millet)

Les traitements font partie de l’histoire du malade, ses cicatrices dressent une cartographie de sa mémoire. Ce projet explore les souvenirs de la poliomyélite à travers les corps de ceux qui en souffrent. On évoque l’histoire de la maladie afin d’apprendre de ses erreurs, de ne pas oublier, de faire preuve d’empathie et de compréhension.

“Les personnes qui supportent les conséquences du passé s’avèrent être des rebelles qui luttent contre l’oubli.”

Bien que la société européenne considère que la poliomyélite est éradiquée, ces corps opérés évoquent la douleur, la solitude et l’injustice, mais aussi la rébellion et la défense de leurs droits. Les personnes qui supportent les conséquences du passé s’avèrent être des rebelles qui luttent contre l’oubli.

Qui sont les personnes que tu as photographiées ? Pourquoi était-ce si important de les montrer nues ?

J’ai commencé par photographier ma mère, parce qu’on se fait confiance l’un l’autre. Il était important de montrer leurs corps nus afin de montrer à quel point cette maladie atteint le corps humain.

“Poliomyelitis”. (© Bernat Millet)

Était-il difficile de les convaincre de poser ?

Quand j’ai parlé à ma mère de mon idée de montrer la poliomyélite nue, elle m’a dit que ce serait impossible, que les gens souffrant de la maladie n’accepteraient jamais. Je savais que ce serait difficile. Même moi, en m’imaginant poser nu, je ressens une certaine honte. Qu’en serait-il si j’avais des cicatrices ou des déformations ? J’aurais davantage honte.

Ma mère et sa meilleure amie ont accepté de poser. Je les ai photographiées de la même façon. J’ai construit un studio portatif avec des projecteurs et un fond blanc dans mon salon. J’ai utilisé une chaise qui traînait dans la maison. C’était un peu compliqué, parce que son amie ne pouvait pas tenir debout et devait s’asseoir.

“Poliomyelitis”. (© Bernat Millet)

Les premiers portraits m’ont aidé à comprendre ce que je cherchais et quelles positions montraient le plus de choses, comment montrer les cicatrices et les membres inégaux, tout en présentant les modèles la tête haute, le regard face à l’objectif.

Après cette première session, j’ai appelé d’autres amis de ma mère, parce que la plupart d’entre eux souffrent de la même maladie qu’elle. J’ai aussi contacté des associations de personnes souffrant de poliomyélite. Cela m’a beaucoup aidé, même si je pense que c’était la partie la plus difficile du projet, d’en parler à des gens et de leur expliquer ce que je voulais faire. Étant donné que la poliomyélite est un virus, elle affecte des gens différents, aux opinions politiques et religieuses très variées.

“Au début, certaines personnes pensaient que j’étais fou.”

Au début, certaines personnes pensaient que j’étais fou, mais d’autres avaient vraiment hâte de commencer à travailler sur le projet, ils y voyaient une opportunité de se réapproprier leur maladie et de rappeler les incompétences du gouvernement espagnol pendant le régime de Franco.

“Poliomyelitis”. (© Bernat Millet)

Comment se passaient les séances ?

J’ai passé plus de 200 appels. Le projet a duré plus d’un an. J’allais chez les modèles, je construisais mon petit studio là-bas et j’utilisais leurs meubles. Certains modèles posaient avec des cannes, leur fauteuil roulant ou parfois juste un bâton. Il était important que les portraits montrent l’évolution de la maladie.

J’ai fini par monter une exposition avec un chercheur spécialisé dans la poliomyélite, le professeur Juan Antonio Rodríguez Sánchez. L’exposition “Mémoires blessées. Corps révélés, itinéraires contre la polio oubliée et le syndrome de post-poliomyélite en Espagne” présentait vingt portraits imposants à contempler.

“Poliomyelitis”. (© Bernat Millet)

Vous pouvez retrouver le travail de Bernat Millet sur son site et sur son compte Instagram.