Rencontre : entre fiction et réalité, les photos de Namsa Leuba explorent l’identité africaine

Rencontre : entre fiction et réalité, les photos de Namsa Leuba explorent l’identité africaine

photo de profil

Par Joséphine Faisant

Publié le

D’une mère guinéenne et d’un père suisse, la photographe Namsa Leuba s’interroge sur les représentations de l’identité africaine. Elle crée des images à mi-chemin entre le documentaire et la performance théâtrale pour explorer les symboles de son patrimoine culturel.

À voir aussi sur Konbini

Namsa Leuba parvient à combiner les codes esthétiques occidentaux, de la mode notamment, avec un imaginaire visuel puisé dans les coutumes et traditions de différentes régions d’Afrique. Même si ces photos ont une forte parenté avec l’approche anthropologique, ce que Namsa Leuba photographie est une création de toutes pièces. Elle mélange à sa manière les différents costumes et symboles en interrogeant ainsi le rapport entre le sacré et le profane, le réel et la fiction.

Par exemple, Khoisan est une série qui montre une facette culturelle de ce groupe ethnique mais combinée avec des éléments tirés de l’imaginaire de la photographe. Pour la série Zulu Kids, elle a travaillé avec la communauté zouloue de l’Afrique du Sud en intégrant des éléments et symboles extérieurs aux Zoulus, tirés de traditions ancestrales guinéennes entre autres. Traditions de son pays d’origine qu’elle honore avec sa série Ya Kala Ben dans laquelle elle explore à sa manière les possibilités esthétiques autour des rituels et croyances de sa terre maternelle. Rencontre.

Cheese | Dis-nous comment ton histoire avec la photographie a commencé.

Namsa Leuba : Il y avait pas mal d’appareils chez ma grand-mère que j’aimais bien emprunter enfant pour faire des tas de photos avec mes cousins. Et puis, c’est surtout lors d’un voyage avec mon père au Portugal que la photographie a fait son entrée dans ma vie, en 1998, pendant l’Exposition internationale à Lisbonne. J’ai eu un déclic. Je commençais à m’amuser à prendre des photos d’objets ou dans la ville. Ce n’était pas des simples photos de vacances. Il y avait déjà une idée de recherche.

Puis lors de ma deuxième année de formation de designer de l’information, on avait des cours de photo et je me suis dit que c’est vraiment ça que j’ai envie de faire. J’ai quand même continué jusqu’au bout la formation pour ensuite intégrer l’École cantonale d’art de Lausanne, en communication visuelle, section photographie.

Tes sources d’inspiration venaient-elles dès le début du multiculturalisme ?

À l’ÉCAL, oui, mes projets parlaient beaucoup de mes origines. Je me suis rendu compte que j’avais envie d’approfondir mes origines maternelles. Ma mère est guinéenne et mon père suisse. J’avais très envie de me replonger dans cette culture dont je m’étais un peu éloignée. Enfant, j’étais bercée par la culture africaine, j’ai beaucoup de famille qui vit là-bas, mais au moment de mes études, je n’étais plus aussi proche de cette communauté qu’à l’époque.

J’ai eu ce besoin de me reconnecter, avec mes croyances surtout. Ma mère est animiste en fait, donc depuis que je suis petite, on fait des cérémonies, des rituels. En voulant me rapprocher de cet univers-là, j’ai aussi essayé d’expérimenter davantage, de mieux comprendre, d’approfondir.

Tes projets en Afrique émanent d’une démarche très personnelle, mais est-ce que tu ne cherches pas aussi à transmettre un message ?

Les photos habituelles que l’on voit des rituels africains, c’est de la documentation. Moi, je voulais faire de la docu-fiction. Une image, ce n’est pas la réalité. Mon but, c’est de montrer l’ambiguïté de l’ethnocentrisme à travers ma vision des choses que je partage avec les autres.

Tes “images performatives” interrogent le rapport entre la réalité et la fiction, le sacré et le profane. Comment cela est-il reçu là-bas ?

Je viens de finir une série au Bénin pour un travail sur le vaudou et j’ai eu des réactions critiques presque violentes. Je prenais des objets qui ne devaient pas êtres manipulés comme ça ou ni même vus différemment que de manière sacrée. En Guinée aussi, j’ai été arrêtée par la police par exemple. En fait, cela peut être vu comme des sacrilèges. Avec mon travail Ya Kala Ben par exemple, je joue beaucoup sur l’hybridité. J’assume ma double culture et c’est ce qui me permet, je crois, d’être un peu borderline. Mais cela a suscité quand même certaines réactions hostiles.

Ce qui est intéressant, c’est qu’en Europe, on voit mes photos comme exotiques, mais en Afrique, il y a une tout autre lecture. Cela dépend des endroits, certains trouvent cela joli mais ne comprennent pas pourquoi je fais ce genre de photos. La culture de la photo n’est pas du tout la même qu’en Europe. L’art de la photographie n’est pas répandu là-bas. Donc, ce n’est pas toujours évident de comprendre pourquoi je mets en scène des acteurs qui jouent avec le sacré en revendiquant le côté artistique.

Tu effectues les castings dans les rues des villages où tu réalises tes projets. Pour Zulu Kids, cela n’a pas été trop difficile de convaincre les parents de te confier leurs enfants ?

Il y a toujours trois, quatre jours de repérage, et je suis intégrée dans la communauté pour trouver mes modèles. En Afrique du Sud, ma démarche a été très bien accueillie pour Zulu Kids. Le vaudou ou tout genre d’animisme que l’on trouve en Afrique de l’Est n’existe pas en Afrique du Sud. Enfin, ils n’ont pas les masques ou les statuettes donc ils étaient hyper enthousiastes et fascinés par cet univers, cette culture. C’était un bel échange, ils ont pris beaucoup de plaisir à travailler avec moi.

Dans Ya Kala Ben, Zulu Kids ou Khoisan, les décors sont captivants, tu les choisis comment ?

Pour Ya Kala Ben, ce sont tous des lieux sacrés qui se trouvent en Guinée, chez moi. Parfois, j’ai eu des réactions violentes pour cette raison. Pour Zulu Kids, pris en Afrique du Sud, les décors sont dans la zone où vit la communauté. Aussi, je tenais à montrer sur chaque prise un élément qui rappelle l’époque contemporaine.

Pour les costumes, quelle est la part de réel, quelle est la part de fiction ?

Je prends des habits qu’ils utilisent pendant les cérémonies et rituels, et ensuite je fais des essais de stylisme. C’est une performance que je fais sur eux et les habits. Ce n’est pas comme ça qu’ils s’habillent traditionnellement. Je les place ensuite dans des saynètes, et j’ai d’ailleurs été amusée d’entendre certaines réactions de gens qui pensaient que j’avais trouvé tout ça comme ça, dans la réalité. Rien n’est réel, je fais un assemblage en transformant des éléments traditionnels.

Sur une photo de Zulu Kids (ci-dessous), on voit un passeport qui flambe, peux-tu expliquer ce symbole ?

Pendant l’apartheid, chaque ethnie avait un passeport qui les différenciait les uns des autres. Le premier à les brûler, c’était Nelson Mandela, un “what the fuck” pour prôner l’union des ethnies : “On est tous sud-africains.” Pendant l’apartheid, c’était un geste très symbolique. C’est une référence. Il y a beaucoup de petits symboles de mouvement anti-apartheid repris dans ma série Zulu Kids, comme le pouce et le poing levés.

Qu’est-ce qui te stimule le plus dans cette idée de superposition des rites et des cultures ?

Ce qui m’intéresse, c’est de trouver ce qu’on peut faire avec le multiculturalisme, de rechercher comment créer une fiction à partir de toutes ces cultures. Analyser, décortiquer pour en sortir quelque chose, une jolie photo. Décontextualiser un corps pour le reconstruire. Je cherche à créer une image qui me parle et que l’on ressente une tension, je veux qu’il se passe quelque chose.