Rencontre : Romy Alizée, la jeune photographe française qui fait rimer érotisme et féminisme

Rencontre : Romy Alizée, la jeune photographe française qui fait rimer érotisme et féminisme

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Par Violaine Schutz

Publié le

À la fois photographe et modèle, la Parisienne Romy Alizée s’est fait remarquer sur Instagram pour ses images en noir et blanc crues et fascinantes.

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Elle a posé pour le regretté Ren Hang, Thomas Hauser, Jo Schwab ou encore le mythique Richard Kern, et tourné dans un film d’Émilie Jouvet. Mais pour Romy Alizée, poser nu (avec ses formes et ses poils) n’est pas seulement une affaire d’esthétique ou de provocation. C’est un acte militant empreint d’un féminisme issu d’une nouvelle école. Rencontre.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

J’ai 28 ans et je suis franco-grecque. Ma mère est surveillante de nuit et je n’ai pas de contact avec mon père. Je n’étais pas très passionnée par les études, j’ai suivi les cours de l’Actors Factory et en parallèle j’ai commencé à poser pour des photographes. J’ai commencé à poser vers 2010, puis j’ai décidé un jour, un peu poussée par mes meilleures amies, de prendre mes premières images. C’était il y a deux ans. J’ai toujours été très visuelle. De toute ma vie, je ne pense pas avoir vécu dans un espace aux murs blancs. Je suis entourée d’images depuis mon enfance.

Pourquoi avoir choisi de poser nue ?

Je suis née obsédée par le corps, le sexe, ses représentations. Un jour, je suis tombée sur le travail de Gilles Berquet. Une série où des femmes nues pissaient sur le sol. J’ai eu un choc. Je les ai trouvées belles, affirmées, puissantes. Je me suis dit que je voulais être ce genre de femme. Au fil du temps, j’ai aussi compris que le corps féminin, mon corps, était par essence politique. Je pose nue parce que c’est beau, nécessaire, et que j’ai un petit fond d’exhibitionnisme.

Quel message essaies-tu de faire passer à travers tes images ?

Je crois que mes images sont à chaque fois motivées par la célébration de la beauté des gens qui m’entourent, des rapports humains, de la pluralité des corps, des sexualités… Mes dernières images sont plus frontales et il s’agit d’autoportraits. Avec un peu d’humour et de provocation, je veux montrer que toutes les filles n’ont pas une sexualité et des fantasmes normés. L’idée est de briser les préjugés selon lesquels seuls les mecs aiment le cul intense et multiplier les partenaires ; cela reste des tabous. Il faut revoir nos représentations lisses, soumises et prudes des femmes quant à leur rapport au sexe.

Quelles sont tes influences artistiques ?

Je suis une dingue des années 1980, tant au niveau de la musique que de la mode et de l’imagerie érotique. Niveau cinéma, j’aime Ex Drummer de Koen Mortier et Head-On de Fatih Akin, toujours des choses intenses. Je suis inspirée par les œuvres puissantes et émotionnelles. Pour les livres, deux ouvrages ont participé à mon éveil féministe, King Kong théorie de Virginie Despentes et Beauté fatale de Mona Chollet. Et en photographie, je citerais Anders Petersen, Witkin, Guy Bourdin et Ryan McGinley.

Pourquoi privilégier le noir et blanc ?

C’est très paradoxal que je fasse du noir et blanc parce que je m’habille de façon très colorée et je suis plutôt une personne joyeuse. Mais peut-être que mes images reflètent une partie plus sombre de ma personnalité. Je trouve aussi que le noir et blanc est plus brut, plus provocateur, plus affirmé. En tout cas pour moi, c’est une évidence de shooter en noir et blanc. Et j’utilise un Nikon FM2 ainsi qu’un Olympus de poche.

Quel est ton souvenir le plus fou lié à la photo ?

Je voulais faire des images érotiques dans un cinéma alors je suis allée demander au cinéma Le Brady, parce que j’avais déjà fait des coquineries là-bas des années auparavant. J’ai été très bien reçue et on m’a laissé la salle 2 à disposition après la dernière séance. C’était assez surréaliste de me balader à poil entre les rangées pour chercher le meilleur angle. J’étais accompagnée d’un ami, mais on avait toujours les boules que quelqu’un débarque et s’étouffe avec son pop-corn. Sinon avec le photographe Nicolas Gavino et Maylis Doucet, on a arpenté Bordeaux une nuit pour faire des images, nus. C’était un moment assez magique.

De quelles autres filles en France ou ailleurs te sens-tu proche concernant l’esthétique et le discours ?

Je suis entourée de filles qui font de chouettes projets. Ma pote Camille Léage avec son projet Bus 60, qui donne une autre vision de la photo de rue ; Mila Nijinsky pour qui je pose souvent et qui est aussi dans mes images ; et Marie Rouge qui est, entre autres, la photographe de Barbi(e)turix, et dont j’adore les portraits. Lu Kowski et Chloe Kritharas Devienne (de Stockholm et Athènes) shootent toutes les deux des images sublimes et, en plus, nous sommes toutes les trois d’origine grecque…

Te considères-tu comme féministe ?

Je n’ai pas peur du mot “féministe” et je me définis totalement comme tel. J’ai toujours été une fille très affirmée dans mes choix, très indépendante, mais j’ai commencé à me documenter sérieusement sur le féminisme et ses enjeux en 2011, après une agression sexuelle.

Tu as déjà été agressée en posant, pendant un shooting ?

Oui, en 2011, pour mon premier shooting nue, quelques semaines seulement après avoir débarqué à Paris. J’ai mis une semaine à réaliser que je n’étais pas responsable de ce qui m’était arrivé et je suis allée porter plainte au commissariat puis au tribunal et j’ai fini par gagner mon procès. Je suis très fière d’être allée jusqu’au bout, car il peut être facile de se décourager face à une société qui minimise le viol et culpabilise ses victimes.

Je sais que cette épreuve a détruit une année entière de ma vie, et une partie de ma confiance dans les hommes, mais cela a énormément motivé ma démarche artistique. Car après le procès, on m’a souvent conseillé de me rhabiller. J’ai répondu qu’il en était hors de question, que ça donnerait raison à l’agresseur. Récemment, je me suis à nouveau fait agresser lors d’une séance par deux hommes qui ont fait d’autres victimes. Lorsque nous avons voulu porter plainte, les flics nous ont balancé “qu’étant modèle nu, il fallait s’y attendre”. Toute la culture du viol dans la tronche. Malheureusement, pas besoin de poser nue pour se faire agresser quand on est une femme. Je me sens aussi vulnérable en doudoune dans la rue qu’à poil dans un studio photo.

Tu as posé pour le regretté Ren Hang et le New-Yorkais culte Richard Kern, tu as des anecdotes à ce sujet ?

Ren Hang était une personne très douce et touchante. Je me rappelle d’un moment génial où j’étais agrippée à des branches d’arbre avec mon amie Victoria Rastello. Il pleuvait à fond et tout le monde s’était abrité, mais Ren voulait continuer à shooter. Donc Victoria et moi sommes restées poser à poil, dehors, en plein mois de janvier, dans des arbres. C’était assez intense. Richard Kern n’a rien d’exceptionnel, par contre.

Quels sont tes projets ?

Je sors un fanzine aux éditions Les Crocs Électriques, 40 pages, 21 photos, issues de ma série Nuits Blanches (pour 5 €). Il sera disponible en mars sur le site de la maison d’édition. J’ai aussi autoédité un fanzine récemment, aux Éditions Furie. C’est le premier d’une série de cinq que je vais imprimer en petites quantités, spontanément. Outre la sortie imminente de mon fanzine, on me verra bientôt dans le court-métrage Je m’excite de Poppy Sanchez, produit par Lucie Blush et sur la musique de Jardin (sous le nom de Romy Furie). Courant 2017, on me verra aussi dans le long-métrage My Body My Rules d’Émilie Jouvet, dans une scène très mouillée avec Maria Riot.

Il m’arrive de regarder du porno, mais moins qu’avant. Ma sexualité a pas mal évolué ces derniers temps. J’ai eu une période où j’en matais beaucoup, mais j’ai voulu revenir à des séances de masturbation plus connectées à mon imaginaire. Par contre, je m’intéresse aux productions alternatives et aux films d’Erika Lust qui repensent le sexe et ses représentations. Et je vais faire un tour au Pornfilmfestival de Berlin et au What The Fuck Fest de Paris.

Enfin, j’ai deux expositions à venir. Une organisée fin avril par All Mecen et La Compagnie, un espace de coworking dédié à l’art. Il y aura une table ronde le soir du vernissage. Et les 28 et 29 avril, j’exposerai avec Scampi Club au Bunker 105 sur le thème des sexualités plurielles. Je fais aussi des photos pour le magazine érotique Le Bateau.

Tu vas participer à une table ronde à La Compagnie à Paris, intitulée “Art et génération Y : rupture ou continuité”. Comment définirais-tu ta génération ?

Je pense que ma génération est celle des sacrifiés. On est tous plutôt lucides et conscients que c’est difficile de mener la vie dont on rêve. On a pas trop de tunes, on fait parfois plusieurs jobs, mais on se donne les moyens d’atteindre nos objectifs. On veut d’abord exister pour nous plutôt que pour correspondre à ce que la société attend. Je suis entourée de personnes qui prennent des risques tous les jours pour faire ce qu’elles veulent vraiment.

Ça me fait rager qu’on parle de notre génération comme étant instable, impulsive et individualiste. Les modèles d’antan ne m’ont jamais fait rêver : m’installer avec mon mec, faire trois enfants et signer un CDI pour la vie. J’ai 28 ans et je veux m’explorer sous tous les angles avant de réfléchir à quoi que ce soit qui ressemble à un truc stable et durable. Mais je suis plutôt optimiste sur l’avenir. En fait, avoir conscience que je ne dois rien attendre de la vie me rend optimiste. Je me laisse surprendre et j’agis instinctivement.

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