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Lumineux et hanté, le Sud des États-Unis documenté par Sally Mann

Lumineux et hanté, le Sud des États-Unis documenté par Sally Mann

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“Gorjus”, 1989. (© Sally Mann)

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Par Apolline Bazin

Publié le

Née en Virginie, la photographe Sally Mann dédie son travail à l'exploration des histoires de sa terre natale.

Le Jeu de Paume accueille la première rétrospective française consacrée à la photographe Sally Mann, née en 1951 et désignée meilleure photographe américaine par le Time en 2001. Le Sud des États-Unis est le fil rouge du corpus de photographies déclinées en cinq parties dans cette exposition intitulée “Mille et un passages”.

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En effet, le passé du territoire nourrit les séries les plus touchantes de l’artiste : que ce soit dans ses photos de famille ou dans son travail sur les paysages, Sally Mann cherche toujours à faire le lien entre l’histoire de la terre et son présent. Le Sud est fait d’une lumière irrésistible ; mais aussi de cette noirceur héritée d’un lourd passé pas si lointain. Une narration graphique et intime à découvrir jusqu’au 22 septembre.

“On the Maury”, 1992. (© Sally Mann)

Tendre famille

La visite commence par une série dédiée aux enfants de Sally Mann – Emmet, Jessie, Virginia – et à leurs vacances dans un chalet perdu en bord de rivière entre 1985 et 1994. La famille Mann semble être comme une bande de Robinson Crusoé, perdue quelque part aux frontières du réel. Une dose d’étrangeté se glisse dans chaque cliché de cette première partie pourtant réaliste, faite de scènes de baignade et de jeu.

“Easter Dress”, 1986. (© Sally Mann)

Les photos des enfants Mann dénudé·e·s avaient interloqué et choqué lorsqu’elles avaient été publiées pour la première fois en 1992 dans le livre Immediate Family. La photographe explique avoir vécu elle-même une enfance de liberté absolue, avant de se heurter aux règles de l’école et à la notion de regard extérieur. Elle travaille en partie avec une chambre 8×10, une technique qui explique l’intensité de ses plus belles images.

“Bloody Nose”, 1991. (© Sally Mann)

“Trumpet Flowers”, 1991. (© Sally Mann)

“Gorjus”, 1989. (© Sally Mann)

La terre

Après cette introduction lumineuse et presque évidente du Sud, le travail de Mann devient plus sombre. Dès les années 1990, elle délaisse progressivement le sujet de la famille pour s’intéresser au paysage, elle consacre une série aux marécages de Géorgie et d’Alabama. Elle se lance sur la route d’un récit qui la hante depuis son enfance : le lynchage d’Emmet Till, adolescent noir brutalement assassiné en 1955 dans le delta du Mississippi.

“Deep South, Untitled (Fontainebleau)”, 1998. (© Sally Mann/courtesy of Washington, National Gallery of Art)

Les connexions entre passé et présent, l’enracinement des traumatismes et des non-dits, Sally Mann les capture d’une manière unique dans ses photographies les plus expérimentales. En 1997, elle commence à travailler avec la technique du collodion humide, mise au point au XIXe siècle.

L’objectif se fait de plus en plus abstrait, Mann cherche à être surprise et joue volontairement avec les accidents de ces négatifs en utilisant du matériel périmé. Elle a dédié toute une série à des champs de bataille de la guerre de Sécession, où des milliers d’hommes ont perdu la vie.

“Battlefields, Cold Harbor (Battle)”, 2003. (© Sally Mann/Washington, National Gallery of Art)

“Battlefields, Fredericksburg (Cedar Trees)”, 2001. (© Sally Mann/courtesy of Waterman/Kislinger Family)

“The Turn”, 2005. (© Sally Mann)

Histoire des États-Unis

L’histoire familiale de Sally Mann l’invite à se questionner sur l’histoire raciale du Sud au tournant des années 2000. Élevée par Georgia Carter “Gee-Gee”, une nourrice et employée noire de la maison, descendante d’esclave, l’artiste commence à se questionner sur le continuum entre cette relation de travail subordonnée mais pétrie d’amour, et l’histoire esclavagiste du Sud. Elle documente alors les églises noires du Sud, symbole des luttes des Afro-Américains.

“Beulah Baptist”, 2008-2016. (© Sally Mann)

L’exposition inclut un film où l’artiste partage son questionnement sur ces liens, leur caractère doux-amer. Cette réflexion introspective nourrit aussi une série de photos sur le corps des hommes noirs du Sud, et la série est d’une beauté ensorcelante.

La démarche de Mann sur les questions raciales et sa technique photographique figent parfaitement la part d’indicible qui entoure l’histoire de chacun et les traumatismes subis sur ces territoires.

“Blackwater 3”, 2008-2012. (© Sally Mann)

“The Two Virginias #4”, 1991. (© Sally Mann)

“Sally Mann. Mille et un passages”, exposition visible jusqu’au 22 septembre 2019 au Jeu de Paume.