Tabita Rezaire, l’artiste qui veut s’affranchir de l’héritage du colonialisme

Tabita Rezaire, l’artiste qui veut s’affranchir de l’héritage du colonialisme

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Par Hélaine Lefrançois

Publié le

À travers son art, l’artiste franco-guyano-danoise remet en question la liberté qu’Internet semble offrir et les hiérarchies héritées de l’ère coloniale qui perdurent dans notre société.

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Internet est-il réellement un espace de liberté ? C’est la question que Tabita Rezaire pose (et se pose) à travers ses œuvres : des vidéos, des photomontages et des installations qui reprennent l’imagerie, souvent kitsch, et les codes d’Internet pour mieux appréhender cet outil omniprésent dans nos vies.

Née à la fin des années 1980, cette artiste a assisté à la démocratisation d’Internet et à la naissance des réseaux sociaux. Après avoir étudié le cinéma expérimental à la célèbre université londonienne Central Saint Martins, elle s’envole pour le Mozambique puis s’installe à Johannesburg en Afrique du Sud. C’est là qu’elle s’intéresse à “un autre visage d’Internet”. En 2014, elle réalise Afro Cyber Resistance, une vidéo qui expose la domination occidentale sur la Toile. Elle explique à Cheese :

“J’ai voulu remettre en question la légende selon laquelle Internet serait un espace de liberté, d’ouverture, un outil de résistance contre la propagande hégémonique, où les frontières n’existent pas.

C’est faux. C’est un outil de contrôle, de conditionnement et de surveillance de masse aux mains des puissances occidentales, qui reproduit les exclusions et les mécanismes d’oppression de la vie ‘réelle’.

Son contenu est majoritairement centré sur l’Occident, reflétant les utilisateurs d’Internet. Seulement 50 % de la population mondiale y a accès et une grande partie se trouve dans l’hémisphère nord. Cela contribue à l’invisibilité et l’effacement des cultures et savoirs non occidentaux. Et quand visibilité il y a, c’est souvent la même histoire : l’Afrique est pauvre, la représentation du corps noir est négative.”

Selon l’artiste, ce n’est pas uniquement un problème de contenu : la structure même d’Internet, à l’instar du système colonial, exploite ses usagers. “Les réseaux sociaux qu’on utilise au quotidien se font de l’argent sur notre dos et tout le monde ne se rend pas compte qu’on travaille gratuitement pour eux. C’est une histoire qui se perpétue”, pose-t-elle.

Mais ce n’est pas seulement dans le Web que Tabita Rezaire perçoit l’héritage du colonialisme. L’artiste défend une “théorie et une pratique décoloniales”, afin de s’affranchir de l’hégémonie occidentale, et des hiérarchies entre les genres, les sexualités, les territoires, les cultures, les savoirs, et tous “les systèmes de connaissance hérités de l’ère coloniale”. À ses yeux, certaines pratiques spirituelles et savoirs africains, comme la communication avec les ancêtres, ne devraient pas être complètement dissociés des progrès technologiques de la société moderne.

Militante féministe intersectionnelle, elle s’intéresse à la place et à la condition des femmes, notamment des femmes noires, dans l’histoire et le développement des technologies modernes. Elle sera à la Gaîté Lyrique à Paris le 11 avril, dans le cadre du cycle “Afrocyberféminismes”, où elle présentera une performance. Ou plutôt, comme elle préfère le nommer, “une offrande”. Elle participera également à une conversation sur l’eau au Centre d’art et de recherche Bétonsalon, à Paris, le 14 avril 2018.

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