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À travers des portraits pop, Pierre-Marin Delaisi détourne les clichés féminins imposés par la pub

À travers des portraits pop, Pierre-Marin Delaisi détourne les clichés féminins imposés par la pub

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Par Mégane Choquet

Publié le

Le photographe met en scène ses modèles dans des séances photos travaillées et retouche ensuite ses tirages à la peinture afin d’accentuer les traits féminins, souvent sexualisés dans les publicités.

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À seulement 25 ans, Pierre-Marin Delaisi a déjà un univers bien défini, qu’il a su peaufiner au fil de ses expériences artistiques. Ancien étudiant en histoire de l’art, il a commencé la photographie au lycée et a travaillé son art en autodidacte. Nous avons rencontré ce photographe, fasciné par les images sophistiquées et très travaillées des milieux du cinéma et de la publicité. La superficialité qui s’en dégage l’a poussé à se créer un monde imagé ultracoloré, antinaturel, à travers une certaine esthétique plastique :

“Dans mon travail il y a un côté obsessionnel, il y a des thèmes qui reviennent régulièrement : la féminité, la transformation. Mon propre rapport à la féminité n’a pas toujours été évident. Mon travail est un peu une échappatoire psychanalytique. J’aime créer des images séduisantes et les agrémenter d’éléments plastiques.”

Dans une mise en scène poussée, il détourne les clichés sur la féminité imposés par les magazines et la publicité au moyen d’un maquillage outrancier et d’un élément perturbateur sur des visages quasi parfaits. Il choisit souvent un objet détonnant, tel qu’un œil, un ecstasy ou de la fumée, qui va perturber le regard du spectateur afin de dénaturer les postures stoïques et lisses qu’adoptent souvent les mannequins de mode.

Il construit ainsi un personnage idéalisé autour d’un élément choisi et le transpose ensuite sur son modèle ; le but étant de transfigurer le fantasme collectif de la représentation féminine, notamment dans la publicité. Il maquille lui-même ses modèles qu’il shoote ensuite dans son petit studio, l’amenant à privilégier les cadrages serrés.

L’obsession de la féminité

Pierre-Marin Delaisi a toujours entretenu un rapport étroit avec la féminité et les questions de genre, c’est pourquoi il photographie en majorité des femmes, dans des portraits qui semblent les faire accéder au statut d’icônes religieuses. Il les transforme en personnages grâce au maquillage et adore voir la réaction de ses modèles face au miroir après qu’il les a transformées. Ce sont leurs réactions et leur sentiment d’étrangeté face à leur propre image qui les sublimeront sous son objectif.

Il détourne les codes de la publicité en photographiant ses modèles à la manière d’un “pack shot” en full light. Avec sa culture visuelle pop, Pierre-Marin Delaisi shoote ses modèles, censées représenter la pureté et la perfection d’un mannequin de publicité, comme des personnages monstrueux, rappelant le film The Neon Demon du réalisateur Nicolas Winding Refn :

“Je préviens toujours mes modèles que ce n’est pas elles que je photographie mais les personnages que j’ai façonnés autour d’elles. Et lorsqu’elles se découvrent après leur transformation, elles ne se sentent pas elles-mêmes et c’est cette sensation que je photographie.

On ne sent pas soi quand on est transformé à outrance, comme les modèles féminins dans la publicité ou le cinéma. Le message que j’aimerais faire passer dans mon travail en général, c’est l’utilisation de cette transfiguration pour remettre en question les clichés sur la féminité et ce que ça veut dire.”

Par la suite, le photographe fait quelques retouches sur Photoshop, tire ses clichés et les imprime sur toile pour pouvoir peindre dessus. Il accentue, alors, grâce à ses coups de pinceaux et de crayons minutieux, les traits féminins ultrasexualisés dans la publicité, en particulier les yeux et la bouche.

Le résultat est prodigieux et rend la photo presque irréelle, donnant l’impression que le modèle va sortir de la toile pour nous happer. Parmi les nombreuses inspirations de Pierre-Marin Delaisi, on retrouve le célèbre duo Pierre et Gilles, avec qui il a eu la chance de travailler, la photographe Cindy Sherman, le Néerlandais Erwin Olaf mais aussi l’Américain David LaChapelle.

“C’était une évidence de repeindre mes tirages”

Le photographe construit son travail autour du cadrage serré et s’est naturellement dirigé vers un effet bidimensionnel sur fond uni, d’une couleur pop, pour renforcer le côté surnaturel qui objectifie ses modèles. Il lui arrive aussi d’imprimer ses photos sur papier pour les petits formats et cela l’oblige à utiliser des techniques plus mixtes pour les retouches :

“Depuis deux ans, j’ai pris l’habitude de revendiquer l’œuvre unique et de faire des tirages soit sur toile soit sur papier et de les reprendre à la peinture. C’était une révélation, une évidence, le fait de repeindre mes tirages, tu peux aller plus loin dans le fait d’en faire un tableau et pas une simple photo.

J’utilise de la peinture à l’huile pour faire des couches très fines et pouvoir accentuer les détails que je veux mettre en avant de manière subtile : ce qui me plaît dans ma photo et ce qui peut séduire dans l’inconscient collectif. Je joue avec les détails délicats et précieux que me procure la lumière établie sur mes modèles. L’éclairage est important quand je shoote.”

Pierre-Marin Delaisi photographie aussi des hommes et utilise le même processus que pour ses modèles féminins, à savoir le maquillage et la retouche picturale sur toile. À terme, l’artiste souhaiterait se lancer le défi de transposer la féminité sur ses modèles masculins, et vice versa. Il compte plancher sur d’autres séries de photos retouchées en traitant des questions de genre et en poussant le recours à l’art plastique à son maximum.

L’artiste expose ses œuvres chez Simon&Roth, galerie tenue par Anne-Claire Simon et Anthony Roth, deux jeunes galeristes mettant en avant le travail des nouveaux talents. L’exposition “Esthétiques croisées” offre un panorama d’une certaine scène artistique française contemporaine, entre art urbain et nouveaux médias. Ces deux amoureux de l’art comptent faire de leur galerie un véritable vivier d’expositions d’œuvres contemporaines et innovantes faites par des millennials pour notre génération connectée et tous les amateurs soutenant la nouvelle scène artistique interactive, toujours plus remplie de jeunes créatifs.

Les clichés de Pierre-Marin Delaisi sont visibles à l’exposition “Esthétiques croisées” au sein de la galerie Simon&Roth, 11 rue Chapon à Paris, jusqu’au 20 juin.